
CR de la Bi’Causerie du 8 février 2016 – Autour de la bande dessinée « Déracinés »
En présence du scénariste, Gildas Jaffrenou. Animé par Jann Halexander
15-20 personnes étaient présentes dans la salle du centre LGBT Paris IdF
Il y a trois CR de la soirée, trois façons de présenter la même séance
« On est toujours l’autre de l’autre. »
Ce soir, grâce à Jann Halexander, nous rencontrons Gildas Jaffrennou, le scénariste de la bande dessinée Déracinés. Formé à l’écriture de scenarii de films, Gildas Jaffrenou est script-doctor et spécialiste de manga et animés. Il anime également, un atelier d’écriture de scenarii à Angers depuis quelques années.(1) http://gildas.jaffrennou.free.fr/
Déracinés qui sort aujourd’hui, est le deuxième tome d’une longue série à venir, 5 à 6 tomes selon l’auteur, sur l’intersexualité ; édité par Y.I.L maison d’édition indépendante du nord de la France.
Et si ce soir nous accueillons dans notre Bi’Causerie cet artiste, c’est parce que cette bande dessinée est d’un genre nouveau. Force est de constater que très peu de BD, hélas, traitent du sujet de l’intersexualité, malgré les 3882 titres inédits parus en France en 2013, année de la sortie du premier tome.(2) http://www.acbd.fr/
En collaboration avec la dessinatrice Gelweo, Gildas Jaffrennou nous explique la genèse de ce projet.
Gildas et Gelweo se sont rencontrés à Angers dans leur ville autour du jeu de rôle Donjons et Dragons. Gildas a tout de suite vu en Gelweo l’artiste qui sommeillait. Il raconte avec passion, comment cette dessinatrice qui n’avait alors jamais rien publié et avait pourtant tant de choses à raconter l’a ému au plus profond de son être. « Elle dessinait sans savoir pourquoi, c’est une artiste qui ne pense pas à sa création, elle est habitée par son dessin» nous affirme–t-il. Trois années plus tard, Gelweo vient de publier son 4ème album. Aussi, il nous raconte avec nostalgie le processus de création du premier tome Ennemis. Il aura fallut sept mois aux auteurs pour écrire le synopsis. « Gelweo a son propre univers et sa communication est émotionnelle, la patience est de rigueur » nous dit-il en souriant. Finalement, grâce à cet échange, Gildas a appris l’écoute, ingrédient essentiel pour toute création à quatre mains.
À la question, pourquoi l’intersexualité est-elle le thème principal de leur bande dessinée ? Gildas répond que cette question est essentielle pour Gelweo… De plus, et toujours selon Gildas, une naissance sur 2500 est concernée en France. Pour l’auteur qui a toujours détesté les injustices et qui a gardé son âme d’enfant, il y a une vraie pertinence à évoquer cette question existentielle. Il est nécessaire d’en parler, et le dessin est un bon medium pour raconter des histoires, et aussi, il est impératif de ne pas définir l’être humain par l’exclusion.
Souhaitons bonne chance à cette aventure, et pourquoi pas, comme aime à rêver l’auteur, verrons–nous un jour cette histoire de personnage intersexué portée à l’écran ?
Terminons par la citation de Desmond Tutu : « Manger un éléphant c’est possible, si on ne mange qu’une bouchée à la fois. »
Lou West
Bon sang, mais c’est bien sûr…
Il a fallu la table ronde à la Gaîté Lyrique sur le thème « Existe-t-il des cultures LGBT ? », organisée par le Centre avec des invité-e-s de talent, pour que s’impose une évidence : la Bi’Causerie prévue le 8 février au Centre se devait d’intégrer le festival des cultures LGBT, premier du nom.
Ce n’est pas tous les jours que l’on peut accueillir un coauteur – au demeurant résidant à 300 km de la capitale – dont l’un-e des personnages est une terrienne intersexe, enfin, une « issue de terrienne », car nous sommes plongé-e-s dans un univers de science-fiction – par ailleurs d’une grande douceur avec de larges cases colorées à l’aquarelle, et d’une narration à la relative lenteur.
Gildas Jaffrennou est un scénariste de film, diplômé du centre européen de formation aux métiers du cinéma, enseignant en Cinéma-Audiovisuel, également scénariste de films (et auteur du « Kit de survie du scénariste ») ; il s’est pris d’amitié pour la dessinatrice Gelwéo et de vif intérêt pour son projet. Trois ans ont été nécessaires pour accoucher ensemble du premier tome des « Déracinés », le 2e tome est en parution imminente au bout d’un an et demi de travail, et les autrice/teur en prévoient en tout 5 à 6.
Il est intéressant d’apprendre de celui qui est venu présenter l’œuvre (et disposait d’un avant-tirage de quelques tomes 2 !) que les personnages clés (la personne intersexe, l’autre personne, noire) étaient au départ secondaires dans l’histoire ; que, homme blanc, cisgenre et hétéro (personne n’est parfait…), il s’est ouvert à la question de l’intersexualité, sans pour autant tomber dans la « BD à message » en la matière, ni, selon ses termes « focaliser tout le livre sur ce sujet » ; et que la maturation a été un processus itératif et des allers et retours constants, loin d’une stricte division des tâches entre scénariste et dessinatrice.
Il a prononcé une phrase forte cette soirée-là : « Certes, il faut mettre en évidence, en vue de l’acceptation sociale, ce qui a longtemps été caché à la société, réservé à des opérations de réassignation de sexe sur des bébés, qui parfois s’en sortaient très bien en devenant adultes, et d’autres fois vivaient de profondes souffrances ; mais plus fondamentalement, veut-on aller vers la banalisation, c’est-à-dire vers un vrai Humanisme ? ».
Message bien reçu par les presque vingt participant-e-s à la soirée (ce qui place cette Bi’Causerie dans les records de l’année, et parmi les meilleures de cette décennie !) ; c’est un message qui, quelque part, colle assez bien avec Bi’Cause : ne faudrait-il pas arriver à rendre la bisexualité visible, socialement admise voire évidente, pour mieux… faire perdre à l’association sa raison d’être ?!
(Nous verrons les possibilités que cette BD soit diffusée par la librairie « Les Mots à la Bouche »)
Vincent-Viktoria
1 – Introduction n°1 – Par Flora Bolter, coprésidente du Centre-LGBT.
Cette Bi’Causerie s’inscrit tout à fait dans le cadre du festival des cultures LGBT car :
– elle permet d’inscrire dans la programmation une ouverture vers la lettre « i » de LGBTI.
– elle rajoute une animation autour de la BD qui est un art déjà bien représenté dans le festival. Le Centre organise une forte programmation BD, dont le salon de la BD LGBT car elle permet la représentation de soi et de la différence. C’est aussi un médium accessible pour beaucoup.
2 – Introduction n°2 – Par Jann Halexander
Lecture d’un passage de la page 37 du tome 2
« L’avantage d ans l’espace, c’est qu’on est en scaphandre. Sous cette carapace, personne ne vous voit pleurer. Personne ne pose de question sur votre sexe. Personne pour vous juger, vous classer. Mais cette fois, je suis vraiment seule… invisible… Même les larmes ne viennent pas. »
3- Les auteurs :
Gildas
Il est déjà venu faire une Bi’Causerie sur la sexualité dans le dessin animé en 2013.
Il vit à Angers où il anime des ateliers sur l’écriture de scénario de cinéma. Il a été prof de SVT.
Gelweo
Elle vit aussi à Angers et peint des aquarelles.
Le travail ensemble
Ils se sont connus dans un club de jeu de rôle.
Gelweo, qui n’avait pas encore publié (4 actuellement), avait plein d’idées mais il y avait des lacunes sur le scénario, la dramaturgie…
Il a fallu beaucoup de recherche, documentation sur la question intersexe (entre autre) pour créer un univers cohérent, la trame, les personnages… Yël et Gahalan n’étaient pas initialement les protagonistes principaux. Il a fallu 6 mois de maturation pour y arriver.
En lien avec sa formation autour du cinéma, la façon de travailler de Gelweo, Gildas fourni les scénarios sous les standards du cinéma et non de la BD. Le scénario de BD inclut déjà le découpage en case/vignette.
Le découpage se fait donc à deux. C’est un travail avec beaucoup de discussions, échanges, patience, travail d’écoute…
Gelweo dessine ses aquarelles sur du format A3, papier Canson. [ajout de Gabriel-le : cela se voit et rend bien dans les albums]. Il y a peu de vignettes par page, 5 à 7 max.
À la question de la salle, sur une adaptation cinéma, les liens évidemment, les ponts entre les différentes formes de narration en images ont été faits.
Les deux se nourrissent mais tout n’est pas transposable.
Info technique : en BD l’appréhension du temps qui passe va, par exemple, être exprimée par le temps durant lequel on oblige le lecteur à rester sur la case. Le temps qui passe sur une succession de cases étroites est plus rapide que sur une vignette large.
Pour l’adaptation, au niveau du scénario, c’est facile : c’est un scénario de film que Gildas écrit.
Pour faire un dessin animé, il faut régler le problème de l’univers graphique. Gildas voit bien Serge Elissalde auteur du film « U ».
Quelques considérations sur le monde de la BD
2500 BD par an sortent en France.
Le festival d’Angoulême qui venait de finir ( Gelweo y était (sur le stand de l’asso LGBT BD)) a été marqué par notamment 2 choses :
– l’absence de femme dans la sélection officielle et la polémique que cela a suscité
– un rapport sur la situation économique des auteurs.
Ils envoient le synopsis à la maison d’édition. S’il est accepté, la maison d’édition verse une avance sur droits. En fonction des ventes, elle verse des compléments.
Le ou les auteurs se partagent entre 8 et 10% du prix de vente en librairie, et environ 25% en vente directe.
Le gros problème est la visibilité des œuvres. Il leur a fallu deux ans pour se dire que la BD pouvait être présentée dans le milieu LGBTI.
Environ 500 exemplaires du tome 1 vendus, sachant qu il n’y a pas de vraie diffusion.
4 – La série: les Déracinés
Il y a 5 ou 6 tomes de prévus. Les idées pour l’univers et l’évolution des personnages sont déjà là.
La BD
Les BD sont financées en partie par Ulule. La maison d’édition Y.I.L. imprime au fur et à mesure de la demande.
Tome 1: Ennemis, 82 pages, 3 ans de travail publié en 2013
Tome 2: Différents, 92 pages, 1 an et demi de travail, publié en 2016. Les BD amenées pour la soirée font partie des premières tirées.
La différence, intersexe…
Travailler sur la différence n’est pas une chose facile. Il faut la montrer, la mettre en évidence puis la banaliser, la rendre normale.
Ainsi, il n’y a aucune raison à ce que Gahalan soit noir de peau. Le premier dessin de Gelweo lui ont donné cette couleur. C’est sa normalité.
Le choix de l’intersexuation de Yël, vient de Gelweo. Cela vient de deux vidéos : un documentaire sur Arte et un film US intersex [ajout de Gabriel-le: il y a aussi le film argentin «XXY»] La notion d’inter sexe est tabou, invisible, invisibilisé(e). Elle touche environ 1 naissance sur 2500 [ajout de Gabriel-le : les chiffres sont variables d’une source à l’autre ]. De façon quasi systématique les médecins opèrent à la naissance pour faire de l’enfant un garçon ou une fille. Leurs critères sont : pourra-t-il pénétrer un vagin, pisser debout.
En plus de raconter une histoire, la BD a comme opportunité de mettre en lumière la question intersexe afin que les gens en entendent parler…
C’est (sauf indication contraire) la première BD avec un personnage intersexe. Le tome 2 est postfacé par Maëll le Braz de l’ OII-France (Organisation Internationale des Intersexués).
La BD se veut avoir un enjeu humaniste, ne pas exclure, mettre de côté…
Dans le tome 1, bien qu’ennemis ils se sauvent la vie, apprennent à se connaître.
Dans le tome 2, Gahalan va faire quelque chose de tout à fait normal pour lui, pour sa culture, mais qui va choquer Yël.
Pourquoi faire de la SF dans l’espace ?
Gelweo et Gildas ont une passion commune pour l’espace.
Une des forces de l’histoire est le point de vue. Alors que l’Histoire de cet univers regorge de généraux et autres héros que l’Histoire gardera, c’est délibérément que les protagonistes sont plus modestes, plus proches des lecteurs, plus humains, plus anonymes…
Quitter notre Terre du moment permet de ne pas se coller dans la précision d’une culture actuelle, de s’en extraire. Cela permet d’en créer d’autres intégralement et de faciliter au lecteur l’entrée dans une culture qui n’est pas la sienne.
À propos du titre : les protagonistes sont Déracinés de leurs mondes respectifs. Leurs peuples sont eux-mêmes Déracinés de la Terre.
L’arbre est donc un symbole.
Il est sympa de pouvoir incarner les symboles. Les terriens ayant colonisé des astéroïdes, ils ont besoin de transporter des arbres pour refaire les écosystèmes locaux. Il y a donc des arbres Déracinés dans la cargaison.
Il a été choisi de faire de la SF réaliste (référence à Robert Anson Heinlein). Il est envisageable que dans 300 ans on se promène dans le système solaire, mais qu’il ne sera pas possible d’aller plus vite que la lumière. On reste dans le système solaire, et on ne peut donc pas rencontrer d’extraterrestre [ajout de Gabriel-le : plutôt extra humain, car Yêl et Gahalan sont des extra Terrestre, ils vivent (ils sont nés) hors de la Terre].
Comme le thème est la différence, les ET sont des archétypes de la différence, lui donnent une dimension allégorique. Les auteurs ont choisi de ne pas traiter le sujet car les humains donnent déjà assez de matières à traiter, de diversité…
Aparté culturelle sur les relations sexuelles humain/ET, et genre dans la SF
– un univers à 5 genres. Les couples sont constitués d’un représentant des 5, -BD druma qui est caricaturale pour provoquer
– film J‘ai épousé une ET
– film Galaxy Quest
– BD cycle Les mondes d’Aldebaran de Léo
– la série Star Treck. À noter que c’est dans cette série que, pour la première fois sur les écrans américains, des personnes noires et blanches s’embrassent.
– La Main gauche de la nuit. d’Ursula K. Le Guin. Les humains sont neutres. Ils retrouvent un sexe pour se reproduire. Le genre n’est pas décisif dans cette société
– relation sexuelle dans Alien.
Gabriel-le
BD ‘Déracinés quand même’ tome II de Gelweo/Gildas Jaffrennou disponible sur
http://www.yil-edition.com/#!
Bande Originale de la BD disponible sur
https://jannhalexander.
Tome I disponible sur
http://www.bedetheque.com/BD-