Bi’Causerie – Le miroir bisexuel

couverture le miroir bisexuel

Compte rendu de la Bi’Causerie du 08/04/2002 – Le miroir bisexuel : rencontre avec Catherine Deschamps

 

couverture le miroir bisexuelCatherine Deschamps: Le miroir bisexuel. Une socio-anthropologie de l’invisible (Paris: Balland, 2002, 23 ? prix éditeur, 20 ? pour les bi’causiens).([le livre est épuisé. On peut l’emprunter à la bibliothèque du centre LGBT Paris idf)]

Catherine Deschamps, co-fondatrice de Bi’Cause, venait ce soir nous parler du livre issu de sa thèse de doctorat sur le thème de la bisexualité.

** 1- Introduction par Catherine

Genèse de cette recherche :
Catherine a travaillé en 1994-1995 avec Mendes-Leité et un autre chercheur sur les hommes ayant des pratiques bisexuelles, dans l’optique de la prévention SIDA. Cette étude résultait d’une demande du ministère de la Santé. Mais elle n’était pas tout à fait satisfaite de cette approche, qui ne portait que sur des hommes et où il n’était question que de pratiques.
Peu à peu, Catherine s’est rendu compte que s’ajoutaient à cette réflexion des raisons personnelles, liées à ses origines familiales (où jouaient des rapports de force). A Bi’Cause, elle ne comprenait pas réellement la douleur ressentie par les personnes qui venaient voir l’association.
Participer à la dynamique de groupe de Bi’Cause était une manière pour elle de trouver une légitimité par opposition à sa situation universitaire où elle était un peu dominée. Alors pourquoi, puisqu’elle souhaitait réfléchir sur « l’entre-deux » n’a-t-elle pas choisi de travailler sur le métissage par exemple ? Là encore c’est sans doute à cause de son histoire familiale.
Par ailleurs, on lui a fait un reproche courant : tu vis depuis longtemps depuis avec un homme donc tu n’es plus bisexuelle. Rappel : on ne dit jamais à un hétéro qu’il n’est plus hétéro s’il n’a plus de pratiques sexuelles, idem pour un homo. Dire que la bisexualité n’existe pas est violent, c’est la négation de l’histoire et de l’identité d’une personne.

Présente de 1995 à 1999 au groupe bi devenu Bi’Cause, Catherine a précisé ne pas savoir tellement ce qui s’est passé depuis. Elle a remarqué que les liens se dénouaient.
Bi’Cause lui semble être restée sur le terrain des minorités sexuelles. Il manque la possibilité représenter la bisexualité sous forme d’images fixes : c’est un frein à la communication.
Paradoxalement, remarque-t-elle, le seul moyen de représenter la bisexualité, c’est de montrer le multipartenariat bi, or c’est un aspect qui déplaît fortement.

Que révèlent les clichés sur la bisexualité?
Ils montrent une norme transversale, celle de la fidélité : fidélité à une personne, mais aussi fidélité à une histoire. Les bisexuel-le-s sont perçus comme des traîtres à la cause homo.
D’ailleurs, lors de réunions de Bi’Cause, on a entendu des personnes vilipender les bi « planqués ».

** 2- Discussion:

Clô : on a discerné deux cas de figure parmi les gens qui viennent à Bi’Cause:
– ceux qui ont besoin de se retrouver entre bisexuel-le-s,
– ceux qui viennent se dire « je ne suis pas seul-e ».
Mais attention, il faut prévoir de grands changements au niveau de l’association puisque nous allons recevoir des subventions et (c’est lié) nous allons travailler sur la prévention du SIDA et des infections sexuellement transmissibles.

Catherine : les associations des minorités sexuelles sont souvent politiques dès le départ, avec des personnes qui ont déjà une expérience du militantisme. Bi’Cause n’est pas dans ce cas et on va en effet, très certainement, la voir évoluer vers la politique. On pourrait ajouter un troisième cas de figure : les personnes qui sont venues à Bi’Cause et en sont reparties, déçues parce qu’elles venaient pour la politique, justement.

Clô : d’autres déçus ont été ceux qui venaient porteurs d’un message échangiste. Nous en sommes à la préhistoire de notre association.

Patrick : il y a eu aussi ceux qui ont trouvé que nous étions trop « prise de tête ». Ils venaient dans une situation de souffrance, dans l’espoir de trouver quelque chose de réconfortant et agréable.

Catherine : mais il y a les jeudis de « Bi’envenue » qui permettent de les accueillir.

Michel : on remarque un double problème:
– la douleur de nombreux participants (c’est aussi le cas des homos), due au fait que les bisexuel-le-s sont montré-e-s du doigt par les monosexuel-le-s ; pour supporter cela on a cherché l’identité bi, cela demande une longue maturation,
– on pourrait militer très vite mais on proposerait des idées peut-être pas en phase avec ceux qui viennent nous voir.
Cette maturation donnera à terme quelque chose de très solide, de bien enraciné dans tout ce que nous avons entendu. Nous travaillons là-dessus notamment grâce à la charte dynamique, commencée début 2000 : des idées ont été extraites de notre premier manifeste bisexuel puis ont été soumises à la réflexion de tous ceux qui ont voulu les commenter, les préciser, les enrichir, pour former un texte de plus proche de la bisexualité en général.
Cette année, nous venons de nous appuyer sur cette charte pour rédiger le manifeste 2002.

Catherine : je me demande (connaissant le premier manifeste), si ce texte ne renvoie pas trop à la diversité or on ne communique pas avec la diversité.
Au début de Bi’Cause, on notait une grande disparité de profils, de fait ; au bout de 3-4 ans, la diversité s’est retrouvée plus affirmée que réelle (puisqu’entretemps, par exemple, les échangistes étaient partis).

Patrick : il faut préciser qu’il y avait une certaine forme de prosélytisme échangiste.

Catherine : quand les échangistes se sont sentis obligés de partir, les Bi’Causiens n’ont pas trop réfléchi aux raisons de leur départ.

Sébastien : j’ai fait partie de ceux qui étaient contre cette « auto-exclusion ». Effectivement tous les bisexuel-le-s ne sont pas échangistes et réciproquement.
A propos de la diversité : sur le manifeste 2002, nous avons jonglé avec les « ou » et nous avons été conscients du problème d’efficacité que cela générait.

Catherine : dans le groupe bi, certains ont pensé à un moment qu’il serait peut-être plus commode de ne pas se donner de définition, sinon elle serait bien trop longue et variée, justement.

Clô : à propos, dans le livre, la diversité apparaît parfois dans un sens positif, parfois de façon plus péjorative.

Catherine : c’est tout le problème de la diversité. A Bi’Cause on se sent tout de suite bien grâce à toute l’ouverture qu’on y trouve. Mais comment être efficaces à partir de cette variété?

Jean-Bernard : mais n’a-t-on pas identifié quelques faisceaux de convergence?

Catherine : oui, peu à peu à Bi’Cause s’est formée une idéologie où la diversité est énoncée de fait et qui n’est pas exempte de politiquement correct.
Il y avait deux directions au départ:
– quelques personnes venaient du militantisme gay et lesbien et voulaient militer avec les associations homos,
– d’autres voulaient se séparer du mouvement homo.

Olivier : comment ton livre a-t-il été reçu?

Catherine : il est sorti très récemment alors il est un peu trop tôt pour se faire une idée bien nette. Il s’agit d’une compilation à partir de ma thèse. La partie sur les entretiens a été condensée, elle semble sans doute compliquée à lire. On a noté un ton revendicatif dans la thèse et le livre.
Dustan (de Balland) aurait voulu qu’un passage sur les années 1970 célèbre cette époque où, selon lui il n’y avait pas de rapports de pouvoir, j’en ai parlé mais en soulignant l’existence de rapports de pouvoir (envers les femmes) et ça ne lui a pas déplu, au contraire.
La maison d’édition Odile Jacob aurait bien publié le livre mais elle demandait alors en plus un livre de déconstruction de l’hétérosexualité : non. Dustan (Balland) a insisté pour éditer mon livre, j’avais jusque là pensé que ça ne correspondait pas à ce que cet éditeur produisait.

Sébastien : depuis l’an 2000, de plus en plus d’associations gays et lesbiennes citent la bisexualité dans leurs tracts, leurs accueils. Depuis la fin 2001, l’ex « lesbian & gay pride » a pris le nom de marche de la fierté « lesbienne, gay, bi & trans ». Catherine, que penserais-tu d’une manifestation bisexuelle? Les trans organisent l’Existrans ; cette année, pour la première fois ils ont demandé le soutien de l’interasociatif mais la demande a été à moitié rejetée.

Catherine : il y a de nombreux points communs entre ce qui est trans et ce qui est bi. L’idée d’une marche bi ne serait pas très pertinente à moins d’être conçue sur le mode de la performance. Ça rappelle la proposition des débuts du groupe bi : à l’époque on aurait bien agi avec les queers et les trans mais certains du groupe ont refusé. Cela dit, pour beaucoup de trans, transsexualité et orientation sexuelle sont deux choses très différentes.

Michel : tu disais que nous recevons deux accusations:
– celle de ne pas exister, or nous existons ; la preuve : nous sommes là,
– celle de l’infidélité : mais à cette accusation là, nous n’avons pas répondu.

Catherine : il faut se demander quelle est la fonction et la signification d’un cliché. Par exemple, le cliché a une fonction coercitive: il aide à se donner une identité.

Patrick : si le mot « fidélité » gêne, on devrait parler de « constance ».

Catherine : la question, en fait, n’est pas de savoir ce qu’on est.

Michel : Beaucoup de gens viennent à nous dans une situation de souffrance. Il nous faut trouver un langage réconfortant.

Catherine : d’accord mais si on réconforte on provoque un effet positif à court terme seulement. Si on explique la construction des normes, on va plus loin et l’effet à long terme est meilleur.

Julie : qu’est-ce que la déconstruction dont tu parles ?

Catherine : la déconstruction consiste à partir de quelque chose qui existe et qui est défini comme une norme, pour montrer d’où ça vient. Par exemple,à propos de l’infidélité : si on remonte un peu on constate qu’il y a une exigence de respect des apparences de la fidélité ; la question est de donner à voir quelque chose qui perturbe le modèle idéal ou pas.

Michel : comment gérer la souffrance (constante) de l’autre ?

Catherine : je crois à l’effet pervers de la transparence (c’est-à-dire de tout dire à l’autre). Tout dire permet de se décharger de la souffrance sur l’autre. Mon idée est qu’on reste avec quelqu’un aussi longtemps qu’on l’aime. C’est pareil avec les hétéros, les homos. Mon principe c’est : si j’aime quelqu’un je n’aime ni souffrir par lui ni lui faire du mal, c’est simple en fait !

Mireille : le problème pour le bi c’est que son infidélité fait écho à sa division intérieure.

Clô : pas forcément, ça peut être l’inverse. Si tu vas voir dans les deux genres, la trahison est double.

Catherine : il doit y avoir aussi la question homme/femme et pas seulement la question hétéro/homo.
J’ai remarqué qu’à Bi’Cause, le politiquement correct consiste aussi à dire que si on aime quelqu’un on aime *une personne*. Or c’est le cas de tout le monde, bi ou pas !
Tant qu’il n’y aura qu’une association bisexuelle, les gens y viendront en souffrance.

Patrick : c’est exactement cela. Les gens qui vont bien ne viennent pas.

Olivier: de toute façon, l’objectif de l’association, c’est de ne plus avoir besoin d’exister!
J’ai une question sur la fidélité: est-elle différente selon qu’on est homo, bi, hétéro?.

Catherine : ce n’est pas une question pertinente, sauf si on se demande pourquoi on se la pose. Pourquoi donc ? Tout le monde se représente la bisexualité en aplat temporel : un bi serait avec deux personnes à la fois, forcément et forcément ça s’oppose à la norme. Ça arrange les gays et les lesbiennes de représenter la bisexualité négativement : ils ont peur du contre-pouvoir que nous risquons de constituer.

Olivier: … et nous bousculons la normativité du couple qu’ils ont reprise des hétéros.

Jean-Bernard : l’idéal, c’est de trouver un partenaire qui même en soi les composantes féminines et masculines.

Catherine : pas nécessairement.

Daniel : Michel parle de « nous » (« nous sommes comme ci, comme ça »). La question est là : au nom de qui parle-t-il’
C’est la question qui se pose à propos des associations d’identité. J’ai lu dans un livre les remarques suivantes : « Je ne suis pas hétéro 24h/24, je ne suis pas ma profession 24h/24, je ne suis pas gentil 24h/24! » Suis-je bisexuel ? Non, c’est beaucoup plus varié que ça. Dans les discussions, on tourne souvent en rond, mais c’est utile de réunir ainsi les gens. C’est une question de valeurs: il est difficile ou impossible de se définir, il faut voir autour de quelles valeurs nous nous réunissons.

Catherine : oui ce n’est pas une essence qui nous tombe dessus. Mais les bisexuel-le-s ont été rendu-e-s à nouveau invisibles par le mouvement queer qui les avait courtisé-e-s pendant un temps. Pour dépasser l’identité, il faut déjà des bases solides. On cherche d’abord des semblables. Après, ce qui est intéressant, c’est de devenir dissemblable.

Clô : quel effet ça fait d’être à la fois observateur et observé?

Catherine : ça fait apprendre sur soi. mais pas là où on croit.

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