Très jeune, j’ai senti instinctivement ce quelque chose de différent, ce quelque chose sans mots. Dès l’école primaire en classe de CP, je me souviens de mon grand compagnon de jeu, c’était un garçon. J’étais particulièrement à l’aise avec les garçons, une complicité spontanée, la relation était simple, franche, directe. Avec les filles, je sentais en moi un regard différent et j’admirais de jolies filles naturellement.
Les garçons me plaisaient à n’en point douter. Ainsi, j’ai eu dès l’âge de 11 ans un coup de cœur au masculin. Cependant, les filles ne me laissaient pas indifférentes, pourquoi certaines de mes amies éveillaient un certain intérêt ? Je n’expliquais pas cela.
Nous étions au tout début des années 80, socialement aucun exemple de vies hors norme face à moi, rien dans l’espace de mon quotidien pour décrypter cela, comment savoir ?
En CM2, j’étais amoureuse d’un garçon, mon cœur battait fort quand je le voyais, je le voyais fort peu, nous n’étions pas dans la même école. Il y avait aussi ma grande complice au féminin qui attirait mon regard, mon admiration. J’aimais sa présence, je me sentais bien. Une grande tristesse m’avait envahie lorsque j’avais appris son déménagement, l’été avant la 6ème. Je ne comprenais pas ma réaction, une étrange tristesse m’avait envahie.
Ce fût donc la 6ème, là c’était ma prof de français qui me plaisait quelque peu, je trouvais mon comportement un peu bizarre comparé aux autres filles de ma classe. Elle représentait une féminité accomplie, une femme intelligente et raffinée mon regard n’était pas ordinaire, je le savais. J’étais déjà lucide sur mon cas, sans le nommer, sans le comprendre.
J’avais aussi des regards vers les plus jolies filles du collège. De même, si j’allais au cinéma, je pouvais trouver du charme à une actrice et tout autant pour un acteur. Or, mes amies ne parlaient que des garçons. Je voyais bien qu’il y avait une différence, pour mon cas cela doublait mes émotions. Coté discussions avec mes amies, je formulais discrètement quelques commentaires sur de jolies actrices juste au compte goûte, l’histoire de voir le résultat, mais rien à rien, je ne soulevais aucun enthousiasme, les actrices étaient transparentes aux filles. J’étais manifestement fort particulière. J’étais réservée, timide même, en rien je ne voulais me faire remarquer, pire me faire une sale réputation, avoir une étiquette immorale. La stratégie était simple : le silence, beaucoup mieux, beaucoup plus facile.
Un silence qui n’avançait guère mes explications, pourquoi étais-je ainsi ? Pourquoi personne autour de moi n’abordait ce sujet ?
Aucun modèle social ne me donnait d’explications. Ce n’était pas si grave, j’étais déjà au moins en partie comme les autres.
Puis ce fût le temps du Lycée, j’ai eu le bac en 1989, certaines de mes amies m’attiraient terriblement, mon cas ne s’arrangeait décidément pas, pire il s’aggravait. Mes interrogations s’étoffaient.
Je me souviens avoir présenté pour le bac français le poème ? la courbe de tes yeux ? de Paul Eluard, ciel comme je me voyais bien le dire à une femme. Je sentais bien un interdit, je sentais bien planer ce quelque chose qui m’attirait, je me voyais bien embrasser une fille, ça le film était récurant, il défilait régulièrement dans ma tête silencieusement. Je ressentais déjà cette sensualité unique, je devinais déjà ce quelque chose de subtil, j?avais en moi ce quelque chose de particulier, ce regard différent.
Je n’osais rien dire, rien tenter, de peur de choquer, de déranger.
Je naviguais entre une partie de moi flatteuse au regard des autres, le coté masculin des attirances et l’autre partie de moi ne cessait de me questionner. J’étais attirée par les hommes tout allait bien en effet, je plaisais et je trouvais ma place de ce coté là.
Mais tout de même, les têtes à têtes avec certaines de mes amies m’interrogeaient.
Pourquoi je rêvais tant d’embrasser cette amie là ? Est-ce que j’allais oser ? Pourquoi mon regard pouvait être happé par la beauté d’une femme, son charme, sa féminité ?
Je me jurais d’en parler, je me promettais d’observer tous les signes encourageant, mais rien, rien ne s’éclaircirait. J’étais donc si particulière ?
A 18 ans, j’avais tout tourné en tout sens coté masculin, la cause était acquise, j’aimais les hommes, pour les femmes, certes, elles me troublaient, mais comment faire ?
Une semaine de ma vie a été particulièrement intense, j’ai eu deux coups de foudre. Cette expression si vulgarisé à peine croyable mais où pourtant les choses vous obsèdent et vous le savez au fond de vous ce quelque chose de palpitant où votre cœur bat, fait des bonds, vous emporte. J’ai donc rencontré celui qui allait partager un bout de chemin de vie avec moi, et j’ai rencontré une femme. Deux rencontres aussi puissantes une que l’autre, tant dans le désir que la force des sentiments, cela me paraissait simple au fond de moi, aimer l’un ne m’empêchait pas d’aimer l’autre. Je me sentais aussi bien avec l’un qu’avec l’autre, j’étais fascinée par l’un et par l’autre. Je ne rêvais que de me noyer dans ces yeux bleus, dans ses yeux marrons.
Ainsi lorsque j’avais un coup de téléphone d’elle, mon cœur s’emballait, une lettre de lui, même état. Il valait mieux être résistante, mon cœur était à rude épreuve. Je me trouvais un peu bizarre comparé au monde qui m’entourait, j’aimais cet état. Je n’ai jamais osé lui dire combien elle me plaisait, combien j’aimais l’écouter et combien j’avais envie d’être dans ses bras. J’ai passé alors quelques jours chez elle, je m’interrogeais sans cesse.
Pourquoi je ressentais cela, pourquoi je l’aimais lui et elle tout autant. J’étais désorientée, je n’ai rien dit. J’ai gardé le silence d’un secret intime absolu. La peur de gâcher quelque chose, de révéler l’inavouable, j’ai écouté, tendu l’oreille des murmures et des non dits, des signes qui ouvrent ou ferme le cœur.
Avec lui c’était facile, un homme et une femme qui se rencontrent, c’est tellement dans l’ordre des choses personne ne se pose de questions.
Je me suis installée tôt dans une vie très conformiste. J’avais envie de vivre une certaine stabilité affective, cette stabilité est inscrite en moi, j’ai dit oui au cadre du mariage, et à 25 ans me voilà jeune maman heureuse de découvrir ce bonheur. C’était assez fou si jeune une vie familiale comparée à mes amies, il y avait un coté décalé dans la norme cependant.
Oui, mais j’ai découvert plus de féminité en moi justement par la maternité. Oui, mais j’ai découvert tous les changements de ce corps de femme en moi. Oui, et plus encore je me suis sentie une femme, comme si cet état m’avait révélé un état plus femme encore. Oui, mais j’ai vu le temps qui passait plus vite encore et les enfants c’est terrible, ils nous projettent ce temps qui passe en pleine face. On voit le temps grandir avec eux.
Un jour une jeune fille m’a dit la phrase suivante alors que nous discutions le plus simplement du monde. Nous parlions du sourire de mon fils, elle me dit, droit dans les yeux ? son sourire n’est pas aussi charmant que celui de sa maman ?, là, le temps s’est arrêté.
J’ai dû certainement être ébahie, dans un tel état de stupéfaction, j’ai été incapable de répondre quoi que ce soit. J’ai même cru spontanément mal comprendre, tellement je n’y croyais pas.
J’avais 27 ans, cette belle et ténébreuse inconnue a provoqué en moi un véritable tremblement de terre : un réveil. Oui, mais, j’étais mariée. Oui, mais j’avais créé une famille. Oui, mais j’étais rentrée dans ce moule convenu, oui mais ma route était toute tracée.
J’étais engagée sur l’autoroute de ma vie déjà choisie. D’un coup, tant de questions en moi. Toutes ces interrogations de prime jeunesse revenaient à la charge, tout resurgissait plus fort encore, que faire ?
C’était décidé, je devais vivre telle une urgence, un impératif et premièrement : parler.
Alors un beau matin, je questionnais mon mari « Et si j’avais une relation avec une femme, te sentirais-tu trompé ? », réponse, « non, c’est différent », autre tremblement de terre, tout était déverrouillé, tout était possible, je n’avais plus de freins liés à une quelconque morale de fidélité.
Après tout, il valait mieux vivre de son vivant.
Oh ! la vie m’a réservé bien des surprises, même du loin de ma province, cela ne m’a pas pris bien longtemps. Tout d’abord une amie de longue date est venue passer quelques jours chez nous. Sa présence m’avait toujours troublée, lui passer de la crème solaire dans le dos, m’avais troublé à tout âge. J’avais perpétuellement envie de l’embrasser, bref je luttais périodiquement contre mon naturel spontané. Elle était venue passer une semaine, à son départ un grand vide, une tristesse, je n’y comprenais plus rien.
Internet n’était pas encore à nos cotés pour correspondre, là j’ai osé, j’ai osé sortir du silence et je lui ai écris une longue lettre, la situation était délicate, annoncer à une amie d’enfance mon attirance pour elle. Lorsque j’ai posté ma lettre, mon cœur battait la chamade, poster une lettre peut être toute une aventure, un événement. Le temps s’est allongé d’un coup, j’étais nerveuse, j’attendais sa réaction. Je me trouvais à la fois ridicule et terriblement vivante, j’avais franchi une étape. La réaction de mon amie a été des plus charmantes. L’attirance n’était pas réciproque, mais elle comprenait, je n’avais pas gâché notre amitié, cela avait été ma grande panique. Depuis lors, oh, combien d’éclats de rire de cet épisode mémorable entre nous. Le ridicule a ses avantages avec le temps, il laisse des souvenirs hors du commun.
Un beau jour, sur une plage, une femme a particulièrement attiré mon regard, mieux, nos regards se sont attirés et dans ce cas là, on ne comprend pas toujours ce qui nous arrive.
J’ai osé aimer une femme, j’ai osé lui dire, j’ai osé le vivre. J’ai enfin découvert cette partie de moi tant mise sous coupe des années durant. Comme c’était si nouveau, si intense, cela a bouleversé ma vie. J’ai compris une chose : cela ne pourrait plus quitter ma vie. Cette sensation unique des bras d’une femme, le plus troublant du trouble.
Accessoirement j’étais mariée, je vivais une sorte d’adolescence tardive, une vie décalée comparée à mes amies très dans le cadre.
Puis, j’ai fini par vider mon sac à mon mari, il a appris d’un seul trait à quel point j’étais véritablement attirée par les femmes et pour conclure cela était désormais devenu absolument indispensable à ma vie. Autant dire que le pauvre homme était atterré, jamais il n’aurait pensé une chose pareille de moi. Ainsi, lorsque je lui avais posé la fameuse question, sur le fait d’être trompé ou pas si j’avais des relations au féminin, le bougre pensait en réalité ma question telle une blague, une plaisanterie au grand jamais je n’aurai osé faire une chose pareille.
Après cette première liaison, c’était un coup d’essai, elle avait sa vie sur d’autres chemins, il me fallait avancer sur le mien.
Ma vie devait bouger, avancer, mais comment faire ?
Ne voulant pas quitter notre vie, mon mari l’a accepté mais sans s’y épanouir. Une contrainte acceptée par dépit, ça le blessait de m’imaginer dans les bras d’une femme. Il devait me partager avec un autre être humain, alors soit je me culpabilisais, soit j’avançais plus encore même au prix de le blesser.
Il arriva ce qui devait arriver, un jour une rencontre a tout emporté.
Je devais m’ennuyer en fait dans cette vie qui n’était pas faite pour lui et moi. J’avais trop changé, un décalage était évident. J’étais attirée comme un aimant devant une nouvelle vie, je devais aller au bout quitte à me cramer les ailes. Alors un beau jour la nouvelle est tombée, tel un couperet, « J’ai rencontré une femme, je suis amoureuse d’elle, nous devons nous séparer ». Facile à dire, après maintes péripéties, où il est arrivé pour un temps à me dégoutter des hommes, j’ai libéré ma vie en payant le prix fort, je me suis libérée de tout lien financier et juridique et j’ai vécu ce que je devais vivre.
Je ne savais plus trop qui j’étais, tout le monde avait son idée, alors soit je n’avais pas rencontré l’homme pouvant m’épanouir sexuellement -grand discours des hommes-, soit j’étais lesbienne refoulée depuis des années -grand discours lesbien.
J’ai bien cru devenir dingue, je suis allée voir une psy, histoire d’éclairer ma vision des choses, cela a empiré. A l’écouter, je devais faire un choix sinon ma vie serait une errance, je devais être homo ou hétéro.
Ma vie d’alors avec elle m’a ennuyé autant qu’avec lui. J’avais juste changé de moule, elle était lesbienne et persuadée que j’étais lesbienne aussi. J’avais besoin de plus de fantaisie, quelque chose n’allait pas, je n’étais pas totalement à ma place.
Du moment que je vivais avec une femme, j’avais l’étiquette lesbienne, je ne m’identifiais pas à cette image, ce n’était pas moi et être hétéro je n?étais pas moi. Et si on me voyait avec mes enfants et que l’on apprenait que j’avais été marié, là, qui comprenait ?
Qu’elle était mon identité ?
Est-ce que les hommes m’attiraient encore ? J’aurai donné cher pour trouver un amant, pour connaître ce que j’avais connu à 18 ans, cet homme que j’avais physiquement dans la peau.
Alors voilà, ma vie pendant 10 ans, peu à peu, le désir du côté masculin est revenu, telle une source ravivée avec du temps. J’ai aimé alternativement hommes ou femmes, 2 ans avec l’une, puis avec l’un, plus avec une autre femme, plus un autre homme, et chaque fois un choix à faire, tous uniques, tous particuliers, mais tous plus jaloux et possessifs les uns que les autres. Mon grand problème était de trouver une stabilité affective. J’ai maudit cette identité, un cycle infernal me rendant perpétuellement triste de ces déchirures, de ces choix de ces séparations malgré moi. Je voulais bien aimer un et l’autre mais ce n’était pas possible pour eux.
Moi si sensible, j’étais tout droit expédiée en enfer, toujours un manque, c’était évident jamais je pouvais me priver durablement d’une partie de ce qui faisait désormais parti de ma vie, de mon être. Une ou l’autre partie de moi me manquait, alors telle une balance, je chavirais dans l’autre sens afin de rétablir l’équilibre et je renversais tout à nouveau. Pourtant avant tout j?aimais un être humain avant même sa spécificité sexuelle, mais c’était plus fort que moi, cela revenait toujours en moi tel un boomerang. Je suis allée voir une autre psy, au point où j’en étais, cela ne
pourrait plus être pire. J’avais besoin d’un espace de parole ouvert et à moi, j’en pouvais plus de bassiner mes amies avec mes questions existentielles depuis des années.
J’ai fini par comprendre : cette psy me dit un jour, « mais Valérie, vous n?êtes pas comme les autres, pourquoi cherchez vous à vivre comme les autres ? Inventez votre vie ! » Je devais inventer ma vie, c’était donc si simple et moi qui aime l’art, qui aime créer, je n?avais qu?à inventer ma vie. Ainsi ces quelques mots ont tout éclairé en moi, un espoir de sortir de cette fatalité. Je ne rentrais pas dans les cases, ni celles hétéros, ni homos. M’acharner à vouloir être comme les autres, j’allais direct d’échecs en échecs garantis. La conclusion était fort simple finalement : j’étais donc bi, j’existais. J’aimais les hommes et les femmes et j’ai fini par prendre la décision de choisir ma vie. Quitte à vivre seule, quitte à affronter la solitude, dans l’avenir on ne m’enfermera plus où je ne pourrai rester. Il faudra m’accepter ainsi, me faire confiance, il faudra que je sois libre de pouvoir vivre qui je suis. Je ne braderai plus ma Liberté par faiblesse affective, je ne devrai plus céder à cause de ces foutus sentiments parfois qui vous font accepter n’importe quoi.
J’ai donc fini par comprendre combien les deux parties de moi étaient indispensables, et mon équilibre passait par ce défi fou et insensé d’avoir cette Liberté de vivre les deux sans interdits.
Jolie théorie, jolis espoirs et jolis rêves, j’étais décidée, mais comment le réaliser ?
A ma grande surprise, j’ai rencontré un homme qui trouve ça original et charmant, il m’accepte telle que je suis. Il a compris naturellement et même ma façon d’être est naturelle et l’a compris, je pourrai être dans notre vie avec cette fenêtre ouverte.
Sans se forcer, cette vie il la vit, comme si ça lui plaisait ces chemins détournés, comme si ça l’arrangeait une vie différente, comme si c’était fait pour lui cette vie là. Je ne mens plus, je ne blesse plus, je peux parler, je peux expliquer, je peux me confier.
Pour la première fois de ma vie, je respire, je suis en équilibre, je peux inventer ma vie joyeusement. Ensuite, c’est une question de rencontre.
Il y a tout à faire, trouver ce subtil équilibre, cette subtile équation.
Alors, avec en plus une vie de famille, il y a une savante organisation de l’espace temps à prendre en considération. Tout est à créer en fonction des envies, des désirs des sentiments.
Ce n?est pas toujours facile, ça rend les choses plus belles encore certainement, l’idéal absolu, l’utopie peut-être, le rêve j’espère, être avec les deux parties de moi. Il y a lui, il y a elle peut-être quelque part qui correspondra à cette envie. Cela ne dépendra pas que de moi, la jalousie a disparu de notre monde, les mondes se complètent et ne sont pas en rivalités, c’est plus subtil. Alors, il nous pourrions vivre une nouvelle première fois, être avec les deux parties de moi, cette harmonie absolue. Cela pourrait être affreusement terrible, je préfère imaginer joliment terrible.
Plus personne n’y comprendra rien socialement, et alors ? On me crois de nouveau dans le moule, mais c’est une apparence, une interprétation. il n’y aucun modèle social, nous serons sur des chemins de traverse.
Affaire à suivre….Vie en construction
Valérie
Sur l’ancien site, plusieurs conversation ont eu lieu. Les voici
Merci pour se témoignage, je m’y retrouve totalement.
J’ai pour me part récemment franchi le pas après des années d’envie.
Mariée et heureuse en couple, j’ai tenté ma chance sur une application de rencontre pour femmes bi qui s’appelle « mignonne ». Après quelques semaines de dial sur la messagerie j’ai rencontré celle qui a comblé mes désirs.
Un seul conseil, n’hésitez pas à vivre votre bisexualité !