Bi’Causerie – Une histoire du travestissement

Bi’Causerie animé par Nicolas / Grabriel-le le 28 novembre 2011 au centre LGBT

Introduction

Le thème de cette histoire (partielle) du travestissement a été retenu de longue date à Bi’Cause, car nos conversations nous amènent souvent à nous intéresser au passé pour donner une perspective au présent. En outre, plusieurs personnes de l’association ont – ou ont eu – des parcours en tant que travesti, transgenre, ou transsexuel.

Le travestissement touche au genre, c’est-à-dire au sexe social, et à la sexualité, c’est-à-dire à l’orientation sexuelle ; en ce sens il se distingue du sexe biologique.

L’exposé traite de ce qui relève d’une transgression d’une norme ; par conséquent, il n’inclut pas le « 3e sexe social », par exemple chez les Inuits, certains chamanes, peuples d’Amérique (Mujer), aux Indes… où il ne s’agit pas de transgression : au contraire, le travestissement y est ritualisé et s’intègre dans des traditions, des croyances… Ainsi la réincarnation chez les Inuits du nom-âme – un bébé masculin à qui on donne le prénom de la grand-mère car elle se réincarne en lui, et qui devient « elle » (1).

Partons du constat le plus courant (et biologiquement caricatural, car il écarte les personnes intersexes) : l’existence de deux sexes biologiques (mâle et femelle). Pour chacun est désigné un genre différent (homme ou femme), avec des attributs spécifiques : rôles sociaux et familiaux, valeurs, symboles, dont le vêtement ; au sexe on greffe un genre avec tout ce qu?on attend du genre, masculin ou féminin.
Ces attributs ont considérablement varié depuis 50, 100, 500, 2 000 ans. Le vêtement en fait partie et marque la place occupée dans la société.

Changer le code vestimentaire est une démarche : elle peut se doubler du changement de comportement. Même si de nos jours la frontière est plus floue, on se rattache tout de même à un des modèles dominants.

Il faut distinguer le travestissement du transsexualisme. Un pas a été franchi en 1958 avec la première opération chirurgicale d’homme vers femme : Coccinelle (2) – même si auparavant avaient déjà existé des pratiques pouvant s’y rattacher, telles que l’ablation des seins (dans le sens femme vers homme) comme pour Mathilde de Morny, dite « Missy », 1863 – 1944.

Il existe plusieurs modes de travestissement : le travestissement entier (la personne prend tous les attributs mentalement et dans son comportement ; le transformisme, plus attaché au spectacle (type cabaret de Mme Arthur) ; les drag queens (ou drag kings), qui accentuent tous les codes, jusqu’à se rapprocher du spectacle ; le travestissement plus quotidien, ou encore celui réservé à la fête?

Pourquoi se travestir ?

1) Pour le métier

On pense aux films Yentl, Victor Victoria, Tootsie.
Le plus souvent, il s’agissait pour des femmes d’arriver à exercer des métiers d’homme. Quelques séries d’exemples historiques :

  • la légende dorée (du christianisme naissant) ; une jeune fille fuit son père pour échapper au mariage organisé, elle va, en habits masculins, de couvents en couvents affiliés au courant gnostique de Bulgarie au Liban. Ce cas fait un peu école, les personnes finissent parfois en « pères du désert », dont la véritable identité est découverte à leur mort. Autre élément, un(e) moine est accusé(e) d’avoir mis une sœur enceinte dans un couvent ; pour ne pas se dévoiler, elle a accepté une lourde pénitence, au demeurant non mortelle ;
  • Pour exercer le métier des armes ; spontanément, on pense à Jeanne d’Arc, mais son cas ne ressort pas vraiment du travestissement ; certes, elle a pris des vêtements, une position sociale (chef des armées), des attributs, un rôle d’homme, mais sans chercher à tromper.
    D’autres se sont illustrées par leurs faits d’armes sous des noms et apparences masculins, gratifiées et dédommagées car elles étaient vertueuses (fin du Moyen âge). Ce sont des moyens d’accès, pas des changements de sexe ;
  • pour la prostitution : le déguisement en homme pour rentrer dans des lieux masculins fermés (monastère…) et pour y faire commerce ; sur quelques siècles depuis la Renaissance, on dénombre environ 80 procès verbaux de police pour ce motif à Paris ;
  • pour être musicien : une joueuse de jazz célèbre, sous le nom de Billy Timpleton (en réalité, Dorothy Lucille) a ainsi fait carrière à laquelle elle ne pouvait prétendre en tant que femme ; elle a passé toute sa vie en homme, et seule une partie infime de son entourage était au courant (2-3 personnes) ; la plupart de ces femmes (plusieurs fois marié-es) et enfants adoptifs n’était pas au courant.

2) Pour déserter, pour s’évader : ainsi le cas d’un soldat en 1916-1917, qui s’est travesti en femme pour éviter de retourner au front, et qui a vécu comme telle jusqu’à la fin des poursuites (10 ans pour la prescription), vivant en couple de « garçonnes » ; il allait aussi périodiquement au Bois habillé en femme pour avoir des relations avec tant des hommes que des femmes. La fin de l’histoire est plus tragique – meurtre conjugal, condamnation…
Peut-on rattacher à cette catégorie le film de Kandahar, d’une fille travestie en garçon pour ne pas subir la condition féminine – finalement retrouvée, reconnue, et mariée contre son gré à 12 ans à un barbon ?

3) Pour le plaisir : sous Louis XIV, l’abbé de Choisy. L’histoire est la suivante : « Monsieur « , frère du Roi, Philippe d’Orléans, ne devait pas accéder au trône ; il a été élevé en fille pour devenir homo et ne pas y prétendre ; Choisy a été élevé avec lui, tous les deux travestis. Ce dernier s’est installé par 3 fois vivant en femme, sous des identités diverses, y compris en élevant une « jeunette » en garçon, qu’il appelait « son petit mari ». Choisy n’a eu des relations qu’avec des femmes. Il a été reconnu dans ses périodes de vie « en femme », même si certains, comme St Simon, le détestaient. Cela dit, il faisait partie de la haute société, et était de ce fait protégé : à la même époque, un abbé de niveau populaire s’est travesti en femme pour aller au théâtre, a été démasqué immédiatement, occasionnant des « troubles », les gendarmes s’en sont mêlés, l’Église été saisie et il a dû faire pénitence… Un autre abbé encore, aux penchants plus nettement homos, a été jugé « scandaleux pour la société » !

4) Par obligation légale :

  • Les cas d’ambiguïté sexuelle (la « future » personne est-elle masculine ? féminine ?) ont été réglés dès la fin du Moyen-Age par la Justice qui, suite à avis médical, a obligé à prendre ou a « attribué » un sexe avec interdiction de prendre l’habit de l’autre sexe faute de quoi il y avait travestissement, réprimé par la loi. Des médecins légistes ont été missionnés aux 16 e-17e siècles en vue de définir les attributs des sexes. Cela doit être mis en parallèle avec les punitions des « crimes sodomites » (la mort), aisés pour les relations entre hommes, mais qui ont donné lieu à des interprétations délirantes relativement aux femmes selon la « taille du clitoris ». Cette volonté de normer et catégoriser dans un esprit dit « scientifique », dominant le 19e siècle, les variantes de l’espèce humaine se retrouve dans les typologies de la psychologie encore enseignée à l’orée du 21e siècle (types mélancolique, atrabilaire, etc.) ?
  • Le chevalier d’Éon, capitaine des Dragons, membre du Cabinet Noir de Louis XV, est le plus connu des cas de travestissement par obligation. Ambassadeur plénipotentiaire à Londres, chargé d’espionnage notamment sur les plans portuaires, mais également ensuite lectrice à la Cour du Tsar. Louis XVI est opposé à la poursuite du Cabinet Noir, et Éon possède beaucoup de secrets. Beaumarchais est envoyé pour négocier, une transaction concernant le travestissement est validée et Éon ne peut revenir à la Cour que comme
    Chevalière d’Éon. Les Anglais font des paris sur son vrai sexe biologique ; il parvient à éviter que la justice anglaise ne l’oblige à le révéler. Il est rappelé à Paris, vivra quelques années à Tonnerre mais finira sa vie en Angleterre. Après l’accord passé avec le roi de France, il n’a jamais pu reparaître en habit d’homme même s’il pouvait garder ses décorations de dragon sur ses vêtements féminins.
  • Le bal des métamorphoses, rituel à la Cour de Russie sous la Tsarine Ã?lisabeth ; tous les samedis, les hommes se déguisent en femmes, et les femmes, en hommes. Cela permet à la Tsarine d’apparaître en habits d’armes. D’autres phénomènes analogues son apparus à la Cour de la Reine Christine de Suède.

La France et ses héritages

Le 19e siècle est un peu différent du 18e siècle au cours duquel, dans toute l’Europe, notamment au travers du mouvement artistique baroque, on a des « inversions » de sexe.
Dans le Code civil, l’homosexualité n’est pas condamnée. A la fin du siècle, elle peut relativement s’afficher, mais en garantissant l’absence d’ « outrages aux bonnes moeurs ». On observe du travestissement, plutôt du féminin vers le masculin, ou entre « invertis », à la fois toléré et encadré.
Actuellement, le travestissement ne fait l’objet d’aucune interdiction légale. Dans la plupart des cas, ce qui ressort des témoignages dans les forums, est une pratique secrète à l’insu de la compagne. Les prémisses du travestissement remontent souvent à l’enfance et à l’adolescence.
La tendance la plus marquante est la volonté de dépasser les rôles, de transgresser, de « souffler » aussi par rapport à un rôle social donné en échappant au moins ponctuellement à la pesanteur du code comportemental qui, des témoignages de certaines, s’avère particulièrement prégnant du côté des filles (surenchère par souci de plaire et de convenir, voire de devenir ? hyper-fille ?).

(1) http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=12781752
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Coccinelle_%28artiste%29

Sources pour préparer la bi’causerie :

  • Homme ou femme ? La confusion des sexes – Fernande Gontier – Perrin
  • La confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution –
    Sylvie Steinnberg – Fayard

Emissions radio (ré-écoutable en ligne)
http://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-travestissement-13-2011-06-07.html
http://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-travestissement-23-2011-06-08.html
http://www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-travestissement-33-2011-06-09.html


Voici deux ajouts (après édition du CR) de lecture :

  • « La Bougainvillée », de Fanny Deschamps (1982). L’histoire de Jeanne Barret. Article sur Wikipédia
  • Excellente bande dessinée « Mauvais genre » de Chloé Cruchaudet chez Delcourt (2013). C’est l’histoire du soldat décrit dans le point « 2) » de l’article.

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