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Bi’Cause lettre information printemps 97 n°2
Sommaire :
Articles :
- Coup de gueule adressé à tous ceux que la bisexualité dérange par Jul’ Chauvet
- Nous on va par là
- Bi’Cause bouscule par Catherine Deschamps
- La bisexualité médiatrice de deux communautés par Alain Deron
Bi-furcations ( témoignages) :
- Cette fille accoudée au bar (Fun)
- Pourquoi pas (Simon)
- Du vendredi au lundi (Cathy)
- Premier manifeste pour la création d’un bi’ctionnaire (Nicolas)
Coup de gueule adressé à tous ceux que la bisexualité dérange – Par Jul’ Chauvet
Ça vous est déjà arrivé : vous êtes avec un groupe de gens, des collègues et des amis… Discussion sympa, qui finit par tomber sur les potes et les maîtresses, les bonnes copines et les amants, le sexe quoi. Naturellement vous aussi avez des aventures à raconter.
Mais il y a tout de même un malaise : vous ne parlez pas de tout. Vous sélectionnez l’aspect hétéro de votre vie (ou homo si vous êtes avec des homos), vous mentez par omission, non seulement à vous-même, mais aussi a ces personnes qui ont croisé votre vie et qui n’ont pas le bon genre pour la conversation présente.
Ne tergiversez pas : c’est une moitié de votre vie que vous cachez, mais c’est bien plus de la moitié de vous-même que vous brimez. Mais prenons-nous à rêver : lancé/e sur votre identité, vous oseriez enchaîner :
– « Je suis en train de vous annoncer que je suis bi ; ça veut dire que je couche avec des filles et des garçons, mais pas forcément en même temps ; je ne veux plus savoir d’où ça vient, si c’est bien ou pas, il se trouve juste que c’est comme ça que je trouve mon équilibre. Et naturellement parfois ça pose des problèmes… Comme à vous. Je vous dit ça parce que je ne supporte plus de ne vous montrer qu’un aspect de moi, qui est correct, mais incomplet. »
Voilà, vous l’avez dit. Vous attendez les réactions. Ça ira de l’effarement complet à l’incrédulité amusée : « Ah bon, on te ne croyait pas comme ça »… Désespérant. Je ne sais pas si c’est une bonne idée de dire sa bisexualité, mais le besoin qu’on éprouve d’en parler justifie pleinement l’existence de Bi’Cause.
Alors laissez moi dédier ce coup de gueule à tous ces gens que la bisexualité dérange. A vous qui prétendez ne pas comprendre l’intérêt de nos débats, qui avez décidé une bonne fois pour toutes que vous ne compreniez pas la notion de « euh bissecssualité », à vous qui nous considérez comme des homos en recherche, à vous qui soulignez combien la question est à la mode pour mieux confirmer (à vous-mêmes) que nous ne sommes que de capricieuses girouettes.
A vous encore qui vous mêlez de contester notre existence, de chambouler notre lente construction ; à vous qui n’admettez pas notre besoin de faire connaître notre identité, d’en parler ; à vous tous qui, bien que non bi vous-mêmes, vous targuez de disposer de nos définitions et de parler de nous.
J’exprime mon plus grand dédain en bloc et sans formule de politesse. Parce que nous constatons que de plus en plus de gens viennent aux débats en question et proposent d’autres activités, parce qu’ils sont heureux de trouver une endroit avec « des gens comme eux ». Et si nos débats sonnent prise de tête (ou au contraire simplification élémentaire) et contemplation narcissique, tant pis, c’est du détail.
Parce qu’en attendant, nous prouvons un lundi sur deux que la bisexualité trouve ses marques, vit et existe.
Nous on va par là
Sociologues, sexologues, observateurs de tout poil, sortez vos loupes et préparez les labos. Car il se pourrait bien que la soudaine visibilité des bisexuels devienne un sujet d’étude. Que traduisons-nous quand nous affirmons notre spécificité?Comment se fait-il que de cinq au départ, nous soyons aujourd’hui en mesure de rallier des centaines d’hommes et de femmes sous notre vaillant étendard’ L’étendue de toutes ces questions promet de longues soirées à Bi’Cause.
Bi’Cause bouscule – Par Catherine Deschamps
Bi’Cause existe depuis décembre 1995 (appelé, à cette époque, « Groupe Bi »). Il s’est créé à l’initiative de quelques filles qui en avaient assez de laisser à la porte du Centre Gai et Lesbien une partie de leur identité.
Des femmes, et très vite des hommes aussi, qui se lassaient des ironies lourdes de sous-entendus. Le but premier de Bi’Cause était de démontrer l’existence même de la bisexualité, de la rendre visible, et plus encore peut-être lisible.
Cette association fonctionne sur un mode plutôt original au regard des schémas militants pédés et gouines existants. Elle permet une interrogation sur le sens et le contenu d’une sexualité. Elle témoigne d’une sorte de construction identitaire en direct, avec tous les doutes que cela implique. De par sa nouveauté, elle génère et accepte encore les questionnements, elle intègre les diversités. Elle piétine aussi parfois, se perdant dans les méandres de justifications imposées par les normes ambiantes.
Mais avant tout, et bien que la démarche reste encore timide, Bi’Cause bouscule, met en doute et interroge les classements préétablis. Dans une certaine mesure, les thèmes abordés lors des débats dépassent le cadre de la bisexualité.
Et c’est aussi en tant que fouteur de merde que « Bi’Cause », l’association, est passionnante. Avec une certaine naïveté parfois, à moins que ce ne soit une candeur involontaire, elle a le culot de reposer les termes d’un militantisme politico-sexuel.
Car la bisexualité est aussi un outil de réflexion, un miroir pour une autre lecture du social.
… Et puis, signe de bonne santé, Bi’Cause commence à diversifier son éventail d’activités : des débats toujours, mais aussi un projet radio, des propositions cinématographiques, un engagement autour des Lesbian & Gay Prides, des activités sportives, des rencontres conviviales et ludiques…
A ce rythme, il va bientôt être dépassé par son succès!
La bisexualité médiatrice de deux communautés – Par Alain Deron (dit « la mascotte », membre du ZOO)
J’ignore si la bisexualité est le dernier tabou, mais qu’elle soit le médiateur entre deux communautés jusqu’alors opposées, ne fait guère de doute.
Cette position, qui peut la borner à une sexualité de « l’entre-deux », est propre à déjouer les mécanismes d’opposition entre l’hétéro et l’homosexualité. Au-delà, elle est révélatrice des normes qui les régissent, car on ne déconstruit pas les catégories en les multipliant. Ainsi, la bisexualité peut et doit trouver sa place dans l’hétéro et l’homosexualité. Elle peut et doit les interroger toutes les deux, contredisant ceux-là mêmes qui voudraient en faire une chose à part, une catégorie de plus.
Qu’est-ce qu’un(e) bisexuel(le) ? Un hétéro n’est pas un PD. Un PD n’est pas un hétéro. Un(e) bisexuel(le) n’est donc ni tout-à-fait hétéro, ni tout-à-fait homo. En ce sens, je dis que la bisexualité ne rencontre pas d’opposants, plutôt des sympathisants. Celui qui n’est pas « vraiment », est donc, soit quelqu’un qui n’assume pas, soit un bi. Question: la Sexualité exige-t-elle que l’on soit « vraiment » ? Cet impératif ne naît-il pas de l’autre ? Car en matière de sexualité, et de bisexualité en particulier, la tentation est grande de faire que le désir soit pur ou perçu comme tel…
Ainsi, qu’il s’agisse de légitimer la bisexualité en s’appuyant sur la théorie freudienne ou un état « de nature » (définie dans le cadre d’un déterminisme sexuel), le discours de « vrais » bisexuels(les) (comme il est de « vrais » PDs et de « vrais » hétéros) est un rien prosélyte et pour tout dire essentialiste. Ces bi s’en trouvent limités dans la justification perpétuelle, et jamais renouvelée, de la bisexualité…
De même que le discours politique échappe aux catégories dès lors qu’elles se fondent sur la pratique sexuelle, la dimension politico-sexuelle de la bisexualité est quasi-absente de Bi’Cause, l’association. Je suis frappé du peu de connaissances ou de références à l’histoire des PDs et des gouines. La bisexualité semble ignorer les rapports de pouvoirs, et de résistance, inhérents à toutes sexualités… C’est dommage ! Car en intégrant une histoire des sexualités, la bisexualité pourrait jouer un rôle politique, en déconstruisant les normes et autres dogmes sur lesquelles se fondent l’hétéro et l’homosexualité.
A titre d’exemple, le désir exclusif dont se prévalent l’une et l’autre communauté.
Ainsi, tant qu’un hétéro sera celui qui ne couche qu’avec l’autre sexe et un PD, celui qui ne couche qu’avec le même sexe, nous continuerons à fonctionner selon une logique d’exclusion, qui n’est autre qu’un système protectionniste.
De même qu’il y a une vie après l’homophobie, de même qu’on ne saurait exister seulement dans l’opposition, la bisexualité, en posant la question d’un désir ambivalent, permettrait de confondre, sans les nier, I’hétéro et I’homosexualité.
Je suis PD, ce qui ne signifie pas que l’homosexualité soit une certitude, prélude aux discours radicaux, plutôt un travail. Par « travail », j’entends que nous ne nous définissons pas par l’opération du Saint-Esprit. Et que la Sexualité, dès lors que nous la « possédons », perd toute fécondité pour s’inscrire dans le cadre de la reproduction. Nous tombons, ainsi, dans l’économie de sa réflexion dès que nous la tenons pour acquise.
Par « travail « , j’entends aussi que, si l’identité est déterminante, elle n’est pas déterminée. Et qu’en conséquence, loin d’être suffisante, I’identité génère un espace où s’inventer.
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