Bi’Cause (la lettre d’information) n°3 – été 1997

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Bi’Cause lettre information été 97 n°3

Sommaire:

Articles :

Bi-furcations ( témoignages) :

  • Pourquoi aller marcher avec les bis (Hubert)
  • Pourquoi je ne défilerai pas à la gay pride (Clô)
  • A quand la bi pride (Sylvain)
  • C’est politique (Corinne)

L’association Bi’Cause est née

Un cap a été franchi le 26 mai dernier avec la tenue de l’assemblée constitutive de l’association Bi’Cause. Le « Groupe Bi » existait depuis un an et demi au sein du C.G.L. Jusqu’à présent, il s’agissait d’un regroupement de personnes impliquées autour de la bisexualité, montant des activités pour ce groupe avec beaucoup de bonne volonté. La création de notre association est un acte de majorité, d’autonomie et de structuration. Désormais, chaque élu/e aura un rôle. Les rapports entre tous, les membres et les non membres, vont y gagner en clarté. Chacun/e va pouvoir se sentir responsabilisé/e, individuellement et collectivement en participant à un axe spécifique décidé et voté ensemble.

Il doit aussi nous permettre d’agir en vue de réaliser nos objectifs : c’est un acte de visibilité.

Quels sont nos objectifs ?

  • Promouvoir l’émergence d’une identité bisexuelle ;
  • Informer de l’existence des réalités de la bisexualité en France et dans le monde ;
  • Favoriser les rencontres entre bisexuels, créer des espaces jusqu’alors inexistants où les bi pourraient échanger expériences, opinions, amitié et plus si affinités…
  • Défendre les intérêts des bisexuels partout où ils sont menacés ;
  •  Accroître notre connaissance de la bisexualité, communiquer avec les autres associations bisexuelles ;
  • Agir dans la lutte contre les M.S.T. et le sida.

La presse entre stress et strass :

Pour ce numéro, on fait dans l’ambitieux : une analyse des blablas de la presse française concernant la bisexualité. Comme vous pressentez déjà un manque de temps et d’espace, vous serez indulgent. Bien sûr que non, ça ne va pas être exhaustif ; bien sûr que oui, on va grossir le trait !

Freud et le journalisme – Par Clô

Si les notions de bisexualité et d’androgynie remontent à la nuit des temps, Freud au début du XXè siècle approfondit le concept en affirmant que dans l’inconscient d’un individu, la différence des sexes n’existe pas. Ce sujet est repris par C.G. Jung qui affirme que l’ « âme humaine » est animée d’un principe masculin (anima) et d’un principe féminin (animus). L’idéal serait de réaliser l’équilibre entre ces deux sensibilités afin de rendre opérationnelles les potentialités qui sommeillent dans l’homme.

Malgré ces théories, voire ces mythes, la bisexualité est restée confidentielle pratiquement jusqu’à la « révolution des mœurs de soixante-huit ». Auparavant, citons Colette, Simone de Beauvoir, Marlène Dietrich et quelques « artistes » marginaux…

Les années 70 et 80 voient fleurir un engouement sympathique pour les bi et jaillissent nombre d’enquêtes, reportages et recherches (Rapport Hite en 1976, Matin Magazine en Avril 82, Marie Claire en été 83). En mai 86, Lesbia ouvre ses pages à un très gros dossier sur les bisexuelles, très documenté et pour une fois, donnant la parole aux femmes. On y relève quelques remarques:  » L’Amour, le désir, est anarchiste, il va toujours contre toutes les évidences, contre ce que l’on appelle la Nature humaine  » ou encore  » quand tu es bi tout ce que tu gagnes c’est en général une mauvaise étiquette des deux côtés, c’est aussi deux fois plus de souffrance « .

On y trouve également toutes les stéréotypies: bi= insatisfaites, désaxées, perturbées, jouisseuses, immatures, malheureuses…

Dix ans se sont écoulés et force est de constater que peu de choses ont bougé malgré des sursauts salutaires: (Illico, juillet 93 – Humoeurs en décembre 93 – Lesbia été 94 – Elle, octobre 95) et la vague bi – made in USA par la voix de la grande prêtresse bi, Marjorie Garber. Notons aussi le dossier de Sciences et Avenir de mars 96 où C. Aron développe sa théorie de la bisexualité biologique et fait une synthèse entre la psychanalyse, la biologie et l’environnemental: La bisexualité est un phénomène biologique qui rentre dans l’ordre de la nature. Malgré ces percées méritoires, l’image bi se modifie peu en dix ans. Pour preuve, un récent article du journal suisse Tages-Anzeiger cité dans Courrier International où les propos restent figés entre stéréotypies anti bi et clichés pro bi : « Le grand boom de la bisexualité, nous le connaîtrons pas de notre vivant ».

Il était temps qu’arrive enfin un vrai questionnement identitaire, une volonté politique de visibilité bi et que les bi se regroupent en association, afin que la bisexualité, selon M. Bonerbale, sexologue,  » devienne une conscience et ne soit plus un problème « .

Changeons d’angle – Par Catherine Deschamps

Changeons d’angle : quels articles pour quel lectorat ? J’ai classé les journaux de 1993 à aujourd’hui en quatre catégories: pédés ou lesbiens, féminins, généralistes et « people-branchés ».

Ce qui paraît avec le plus de redondance, c’est le « bi-chic » : par le biais des stars, la bisexualité est constamment limitée à un fait de mode. C’est particulièrement vrai dans les canards pour nanas (Elle, Voici, 20 ans…). La presse gay est toutefois une exception: quand les magazines pédés ou lesbiens font appel à Colette, Simone de Beauvoir ou Aragon (Lesbia, Ex Aequo), les autres journaux préfèrent Madonna, Courtney Love ou Calvin Klein. La plupart des publications hétéro, en plus d’insister sur le côté strass, précise que la bisexualité est une importation américaine : elle ne peut avoir une portée sociale au quotidien puisqu’elle n’est qu’une excentricité venue d’ailleurs et réservée à une petite élite. En se référant quasi systématiquement à Calvin Klein et à ses créations, ces mêmes journaux contribuent à renforcer la confusion entre pratiques et identités bisexuelles d’un côté, et androgynie de l’autre. Notons que le recours dans les articles à des sexologues ou psy de tout crin est une spécificité de la presse féminine et généraliste. C’est d’ailleurs dans ces mêmes articles que la bisexualité est le plus souvent décrite dans le sens d’une douleur, voire d’une maladie (sauf dans Marie-Claire). Remarquons encore que les papiers qui finalement peuvent paraître les plus inquiétants proviennent des journaux généralistes, dits « sérieux »: écrits à grands renforts de contributions de spécialistes mal digérées, ils suscitent moins l’esprit critique des lecteurs. Au moins, les articles des journaux féminins ou « people » ne prétendent pas à la vérité absolue. Les papiers de la presse « people » sont souvent des articles d’opinion, et à ce titre ne peuvent pas réellement être attaqués puisqu’ils se veulent précisément subjectifs (Max, Nova…). Dans ces mêmes articles, en dépit
d’opinions auxquelles nous ne pouvons pas toujours souscrire, le vocabulaire et les expressions employées démontrent souvent une certaine proximité au sujet.

Enfin, attardons-nous sur la presse gay. Les problématiques y sont généralement différentes de celles des autres journaux : quittant les paillettes, les articles s’attachent davantage à la place de la bisexualité dans le militantisme politico-sexuel. Alors que les éternels reproches de traîtrise étaient très présents il y a quelques années (déclinées différemment selon qu’il s’agit d’articles de lesbiennes ou de pédés), un tournant semble s’amorcer, qui associe davantage qu’il n’exclut. Que de chemin parcouru entre un Illico de juillet 1993 où les bi, « comme dans les vidéo X », sont des « traîtres », des « homophobes », des « honteux », des planqués du sida, et un autre numéro d’Illico d’août 1996, plutôt bi-friendly (certes naïvement et avec quelques inexactitudes en prime), qui rend compte de la conférence internationale sur la bisexualité de Berlin. Terminons sur une note optimiste: dans Ex Aequo d’avril 1997, Aragon est décrit comme bisexuel… Il y a quelques années, on aurait nécessairement pensé qu’il était un pédé frustré.

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