réunion tenue le 10 mars 2014
Introduction
Nous avons pris la décision de tenir rapidement une Bi’Causerie sur ce thème, car lors de l’AG du 10 février 2014, la question a été soulevée et nous avons éprouvé le besoin de l’approfondir, y compris dans sa dimension, pourquoi pas, subversive.
Vous savez que nous avons, par ailleurs, un texte de référence qui est le manifeste des bisexuel-le-s ; sa dernière version date de 2007, et une telle discussion peut éventuellement donner des pistes quant à des évolutions possibles.
Sur le thème précis qui nous réunit, nous ne partons pas de rien, puisque, à l’automne 2011, une Bi’Causerie sur le polyamour avait été largement relayée par le réseau polyamour, avec qui les contacts s’étaient noués lors de la Marche de Fiertés, et dont les membres avaient été nombreux à se déplacer ; bref, elle avait eu ici-même un franc succès…
Pourquoi nous interroger sur la fidélité ? parce que c’est une des grandes classiques de l’hétérosexualité « basique » contre la bisexualité, qui s’est d’ailleurs initialement appliquée aux gays, catalogués comme par essence « infidèles ». Alors, maintenant que, réclamant tous les droits des hétéros, ils se stabiliseraient, qui reste-t-il ?… La norme évolue, l’existence de groupes « en marge de la norme » se recentrerait plus sur les bisexuel-le-s.
Y a-t-il une subversion, de la part des bisexuel-le-s, de l’obligation de fidélité ? Première question pointée.
Sommes-nous par essence ennemis des structures stables, à deux, voire à 3 ou plus ?
Qu’est-ce que le cercle affectif, est-il synonyme du couple (à deux ou plus), peut-on les juxtaposer ? Et de ce cercle affectif, une personne peut-elle en sortir à un moment donné puis y revenir, car l’attachement perdure ?
Enfin, pour ce lancement de débat : on a milité pour le mariage pour tous, mais le mariage inclut la fidélité(Code civil Article 212 Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ; Article 215 Les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie. La résidence de la famille est au lieu qu’ils choisissent d’un commun accord.). Comment la bisexualité peut-elle articuler ce combat avec notre envie de développer la subversion des schémas traditionnels ?
Discussion
Peut-on être marié et bisexuel-le-s ?
* Oui dit l’un, car le soutien mutuel persiste depuis des années y compris dans les aléas de la vie (dont la santé), car la sincérité et la franchise n’ont jamais été prises en défaut. Il interprète l’obligation du code civil comme relevant plutôt de la fidélité affective.
Il faut distinguer les domaines relationnel, affectif, amoureux, sexuel : on ne peut les confondre. A la limite, on peut passer un bon moment lors d’une relation sexuelle, de la même manière conviviale qu’on peut faire à deux un bon repas sans faire preuve d’infidélité !
* Oui, par principe, puisqu’on est pour le mariage pour tous. « Mais, ajoute une autre, j’ai été mariée, je ne me marierai plus. Je vis plutôt une succession de cycles amoureux, et à l’heure actuelle j’éprouve des sentiments pour les deux. Je vis avec lui, mais le manque de l’élément féminin m’éloigne de lui. A la limite, je me marierais bien avec les deux !… »
Cette double relation, une autre la décrit comme « quelque chose qui habite », « une présence même à distance ».
* La question, souligne une participante, est l’exclusivité de la relation, ou non. Elle veut être libre, y compris de tomber amoureuse de qui elle veut : se respecter soi dans ses désirs.
La possessivité chosifie. Le couple peut être un creuset, où chacun apporte ses expériences de vie, qui doit permettre de partager les moments même douloureux. « Ma femme et moi n’avons pas de non-dit ; elle a plaisir à connaître mes amants. Cela ne veut pas dire, au contraire, qu’on fait n’importe quoi : nous avons une organisation de vie et d’emploi du temps avec des modalités concertées, et des limites que nous nous sommes fixées.
Quand je suis allé voir mon amant, je suis plus lumineux, j’aime plus ma femme, je suis dans l’euphorie. »
D’autre renchérissent sur ce point : « cela enrichit et renforce le couple ».
* Un adhérent de Bi’Cause s’interroge tout haut : « qui suis-je, ou qui serais-je, pour penser être l’alpha et l’oméga de ce que l’autre personne attend d’une relation ? » et cette réflexion inclut évidemment celle du genre, mais la dépasse aussi. Et puis, on parle de parcours pour les jeunes, mais on chemine à tout âge?
Il s’est identifié comme étant »infidèle fidèle », puis comme « polyfidèle », au sens où au-delà de la relation physique, le sentiment perdure, ou du moins tant que c’est possible. Mais la fidélité est un terme plus que déplacé, connoté.
* Une amie se positionne contre les (ou la) normes(e), car les désirs changent au cours de la vie. Est-elle polyamoureuse ? Non. Libertine, certes, dans la mesure où les expériences sexuelles peuvent avoir lieu en-dehors du couple ; et ayant évolué en 10 ans d’hétéro, à bisexuelle, puis maintenant homo.
* Quel couple, interroge un adhérent’? Un couple qui ne vit pas sous le même toit, une relation stable, mais aussi des évolutions, des mouvements de va-et-vient. Une certaine fluidité (tiens, comme celle décrite dans le manifeste…). La vie est faite de combinatoires, de mouvement.
* On peut ainsi se définir bisexuel-le par défaut, ou encore par perception, par acceptation, voire par souci militant, ce sont les parcours de chacun-e qui y conduisent. Mais faut-il se définir ? s’enfermer dans un moule, accepter une étiquette sociale ?
Oui, estime l’un-e, parce que c’est s’affirmer, comme le permet l’activité à Bi’Cause.
Une longue intervention, faite d’un profond vécu, se développe de manière émouvante : « l’étiquette est importante, quand on se cherche, quand on ne peut parler de son propre vécu ; on recherche ainsi l’expression d’expériences analogues à la sienne. Cela vaut notamment pour les jeunes, qui sont sans doute plus en parcours.
Mais il faut refuser de cataloguer tout le temps.
Suis-je lesbienne ? Je ne vais pas renier le bonheur que j’ai pris avec des hommes ; actuellement, je suis sexuellement lesbienne, sentimentalement bisexuelle.
Ce n’est ni une « passade », ni un « refoulement ».
Les étiquettes ont leur bon et leur mauvais côté ; elles ne doivent pas brider, mais elles peuvent contribuer à ce chacun-e fasse sa vie ?.
* Un ami, gay, estime que les bisexuel-le-s sont beaucoup plus nombreux que ceux recensés (ou avoués), notamment parce que nombre de personnes sont dans le déni, n’assument pas leur orientation avec franchise « l’hétéronormativité pèse ». Et une bisexuelle renchérit : « il faut assumer ses désirs homosexuels « .
Toute assertion provoquant une réaction, plusieurs participant-e-s insistent sur le fait qu’ils-elles ont des relations avec une personne, voire qu’ils-elles tombent amoureux-ses d’un être humain, quel que soit son sexe.
* Un long débat se développe sur la fidélité ; une fidélité affective qui s’entretienne sur la longue durée, quels que soient les aléas de la vie, mais qui ne soit ni absolue ni possessive ; tandis que d’autres parlent de l’infidélité affective, qui leur paraît plus riche que l’infidélité sexuelle – pas forcement marquée par le respect de l’autre à condition qu’il n’y ait pas déséquilibre dans la relation ; d’où l’idée que mettre l’autre sur un piédestal est en soi un ersatz de relation !
De plus, fidélité est le plus souvent synonyme de couple (qui déjà peut prendre des formes diverses, avec plus ou moins « d’ouverture »). Or un de nos amis est très clair : pour lui, le couple et le mariage (même sans remettre en cause la bataille, de principe, pour le droit au mariage pour tous) sont dépassés ; « si on aime un homme, et si on aime une femme, pourquoi ne pas vivre à 3 ? »
En tout cas, plusieurs participant-e-s s’accordent pour dire qu’une proportion importante de personnes est dans le non exclusif.
Tachant de proposer une notion qui rassemble et dépasse des clichés, le-la président-e de Bi’Cause propose qu?on tente de remplacer la notion de fidélité par celle d’implication. Il semble largement admis que, par exemple accolé à « affective », le changement de terme est pertinent.
* L’animateur-trice de la Bi’Causerie donne son point de vue : on peut très bien conjuguer une cellule, ou un noyau, de portée affective, et un ou des cercles de gravitation autour. Rien n’empêche une femme hétéro, se définissant et s’assumant comme telle, continuer à le faire, alors que pendant un temps donné, voire un an, elle a une femme dans sa vie ; puis de constater que la donne change parce qu’elle vit maintenant avec une deuxième femme.
On peu également être attiré par une personne trans, par son sexe (y compris biologique), sa figure, son attitude.
En fait, la relation à l’être humain, plutôt qu’à tel ou tel sexe, simplifierait les choses.
Et de rappeler l’échelle de Kinsey, qui a eu le mérite d’ouvrir l’éventail des orientations sexuelles en séquençant 7 stades, et qui a été « dépassée » par la grille de Klein, dont l’éventail est plus dynamique et multidimensionnel.
L’ensemble peut induire, ou pas forcément (tout dépend du mode de construction personnelle, voire du devenir en cours) la proximité d’une communauté, d’ailleurs prévue par Klein.
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Animation Nicolas-Gabriel-le, transcription Vincent-Viktoria
Un mot de commentaire
Une de nos co-fondatrices, écrivaine, Catherine Deschamps(Auteure notamment du « Miroir bisexuel' », hélas épuisé, mais trouvable en emprunt à la bibliothèque du centre LGBT Paris Ile de France), a écrit en 2003 « la bisexualité, davantage qu’une identité pertinente en elle-même, est une formidable fouteuse de merde, une délatrice de l’invisible ». Nous en avons fait notre page de couverture du calendrier 2013 de Bi’Cause : la phrase nous semblait très bien décrire le côté profondément subversif de la bisexualité.
Notre manifeste le proclame bien, nous voulons, en quelque sorte, bousculer les normes, d’abord et avant tout l’hétéronormativité. Mais aussi la binarité (par exemple : homo/hétéro), celle qui, spontanément, peut amener certains amis gays, certaines amies lesbiennes, à ne pas comprendre, à craindre la bisexualité, à la rejeter ? et parfois, nous avec !
Notre bisexualité est riche, diverse, variée. Disons le mot, nous nous l’appliquons souvent à nous-mêmes, cette « fouteuse de merde ».
Nous refusons des normes qu’on voudrait nous appliquer parce que, à l’instar du débat pauvrement et partiellement retranscrit, la personne humaine est bien plus que les stéréotypes et idées préconçues divers et variés.
Bien sûr, ce principe s’applique à nous-mêmes, à Bi’Cause : nous ne créons pas, nous ne substituons pas une nouvelle norme à l’ancienne (ou aux anciennes).
Tout cela vous fait réagir ? N’hésitez pas, le site est là pour cela, à vos plumes, pardon, à vos claviers !
Vincent-Viktoria
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