Appel à communications – Perspectives bi/pan+. Les plurisexualités hier, aujourd’hui et demain

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Journée d’études organisée par Bi’cause, Bi Pan Paris et l’Ecole universitaire de recherche Gender & Sexuality Studies (Ehess/Ined)

27 septembre 2025, Centre LGBT de Paris

De plus en plus de personnes se disent bisexuelles. En France, en 2015, 0,9 % des femmes et 0,6 % des hommes de 20 à 69 ans s’identifient comme bisexuelles ; en 2023, ce sont 4,3 % des femmes âgées de 18 à 89 ans, et 2,9 % des hommes de la même tranche d’âge, qui se disent bi ou pansexuel∙les. Lorsqu’on met la focale sur les jeunes, cette augmentation est encore plus frappante : 15 % des femmes âgées de 18 à 29 ans, et 4 % des hommes, s’identifient aujourd’hui comme bi ou pan. Dans cette tranche d’âge, elles sont donc plus nombreuses que celles qui s’identifient comme homosexuelles (2 % des femmes et 3 % des hommes)[1]. Comment comprendre cette évolution ? Est-ce que cette fraction des minorités sexuelles était jusque-là hors des radars des enquêtes statistiques, mal identifiée et mal saisie ? Ou est- ce que de nouvelles personnes deviennent bi ou pan ? Ces deux pistes ne sont pas contradictoires[2]. Mais aussi, pourquoi cette différence entre les femmes et les hommes, et que dit-elle de la relation entre genre et bi/pansexualité ? Ces évolutions montrent en tous cas que les bi/pansexualités ne concernent plus aujourd’hui une petite minorité.

L’évolution concerne aussi les manières de s’identifier. Si la bisexualité a une histoire longue ; la pansexualité est un label plus récent. Comment rendre compte de la coexistence de ces deux labels aujourd’hui ? Dans les recherches académiques, la notion de plurisexualité, opposée à celle de monosexualité, a pour but de regrouper et de saisir la spécificité des sexualités qui ne sont pas tournées vers un seul sexe ou genre[3]. Ce qui définit et différencie ces identifications ne fait pas consensus. Pour l’association Bi’Cause, la bisexualité est une attirance affective et/ou sexuelle pour deux genres ou plus, tandis que la pansexualité est une attirance pour la personne sans considération de genre. Cette diversité de labels relève d’une attention aux nuances du désir. Mais elle questionne aussi les manières de relationner et de faire communauté. En effet, comme le suggère le manifeste diffusé à l’occasion de la Journée internationale de la visibilité bi+ 2024, les enjeux bisexuels dépassent la sexualité et touchent plus largement les relations affectives et les liens communautaires ; ils peuvent être porteurs de revendications politiques[4]. Cela interroge aussi la place du genre dans ses multiples dimensions, comme identité, rapport social et grille de lecture du monde dans les dynamiques d’érotisation et les relations intimes ; mais aussi les conceptions des féminités et des masculinités des personnes bi/pan+.

Cette problématisation renouvelée des plurisexualités se lit aussi dans les espaces communautaires et militants. Si Bi’Cause et To bi or not to bi, à Toulouse, ont longtemps été les seules associations bisexuelles en France, les espaces d’expression et de discussion se sont diversifiés, en particulier suite à l’appel à un « réveil Bi » de la militante Florali Résa en octobre 2022. On peut citer les collectifs Bi Pan Paris, Bi Pan Bruxelles, Bi Pan Nancy, Bi Pan Montpellier, BPM (Bi Pan Marseille), Les BiSextiles à Paris, Le Bi.stro à Tours, le Fourbi à Dijon, le Clic-Clac à Bordeaux, et le Front d’Action Bisexuel, la plupart ayant vu le jour entre 2023 et 2024. Ces collectifs se structurent au sein du Réseau Bi Pan Francophone[5]. Dans le militantisme comme dans les minorités sexuelles, les bi/pansexualités sont de plus en plus présentes.

Cette évolution s’accompagne d’une théorisation accrue. Celle-ci n’est pas récente, elle fait suite à la politisation de la bisexualité qui a eu lieu dans les années 1980. Elle a connu un moment important dans les années 1990, principalement en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Des ouvrages académiques dialoguent alors de façon critique avec les études queer[6]. En 1998, l’American Institute of Bisexuality est créée par le psychiatre, sexologue et militant bisexuel Fritz Klein ; le Journal of Bisexuality, créé en 2000, en est issu. Cette première vague de théorisation n’a cependant trouvé que peu d’échos en France, à l’exception notable des travaux de Catherine Deschamps et de Rommel Mendès-Leite[7]. Il semble que l’on assiste aujourd’hui à une seconde vague de politisation et à un renouveau théorique dans les mondes associatifs et académiques. Il vise une audience plus large et s’étend à la France, à l’Italie et à l’Espagne[8].

Si on peut donc parler de réveil bi/pan+, ces orientations sexuelles et affectives restent dans une situation de minorisation spécifique. Dans son manifeste, Floralie Resa écrit ainsi que « nous n’avons pas accès à une communauté »[9]. Les théorisations et les politisations existent mais leur visibilité est limitée. Dans la recherche académique comme dans l’espace public les mentions des bi/pansexualités restent rares, et rarement traitées en tant que telles : les homosexualités y sont plus présentes. Et dans les lieux de sociabilité, les événements communautaires ou militants « LGBTQIA+ », le B reste largement sous- investi.

Est-ce qu’il existe des perspectives bipan+ à partir desquelles (re)penser le monde ? Comment les caractériser ? Pour quelles visions politiques ? Est-ce qu’elles se rapprochent ou recoupent d’autres perspectives – féministes, queer, lesbiennes, gaies, asexuelles, aromantiques, trans, non-binaires, ou autres ? Cette journée d’études, coorganisée par Bi’cause, BiPanParis, l’Ined et l’Ehess, a pour objectif de créer un espace de rencontre, de visibilité et de réflexivité pour les bi/pansexualités aujourd’hui en s’appuyant sur les expériences et les savoirs produits par les personnes concernées, les collectifs qui les représentent, les recherches qui portent sur elles, dans et hors les institutions académiques. Nous proposons quatre pistes de recherche.

La première concerne les catégorisations et les évolutions sociales des personnes bi/pan+ : comment se définissent-elles, comment se situent-elles dans l’ordre du genre et plus largement dans l’espace social ? Il s’agit d’expliquer les mutations générationnelles des identifications plurisexuelles et de comprendre les modes de vie et les revendications dont les bi/pan+ peuvent être porteur·euses. Il s’agit également d’analyser leurs liens avec d’autres minorités de genre et de sexualité au sein des espaces communautaires, mais aussi dans les parcours de vie. Par exemple, les personnes trans et plus encore non binaires sont nombreuses à se définir comme bi et plus encore pansexuelles. La bisexualité est une manière de se définir qui peut changer au cours de la vie[10]. Comment penser ces recoupements dans les vies des personnes concernées comme dans les liens entre les communautés ?

La seconde piste concerne les espaces bi/pan+. De nombreuses recherches ont abordé les minorités sexuelles par leurs espaces : il peut s’agir de lieux physiques, bars ou quartiers, mais aussi d’associations, d’espaces numériques et plus généralement des environnements sociaux qui permettent et favorisent l’émergence de désirs, de pratiques d’identifications de soi, de nouveaux modes de vie. Dans les années 1990, cette approche a montré le peu d’espaces propres aux bisexualités et les représentations négatives qui sous-tendaient cette absence de lieux à soi – une sexualité transitoire ou inauthentique, un soupçon de collusion avec la sexualité majoritaire notamment[11]. Quels sont les espaces bi/pan aujourd’hui ? Quelles sont leurs places dans la vie des personnes bi/pan+, et comment contribuent-ils à façonner les bi/pansexualités ? Il ne s’agit pas seulement de trouver un refuge. La notion de « biphorie » – le sentiment d’euphorie ressenti dans les manières de relationner avec des personnes bi/pan+ – capte le versant positif de ces espaces, qui posent la question des manières de vivre son orientation et des affects qui lui sont associés.

La troisième piste concerne l’existence d’une culture bi/pan. On peut ici envisager la place des plurisexualités dans les subcultures sexuelles minoritaires telles qu’elles se sont développées à travers l’élaboration de commerces, de lieux, de fantasmes spécifiques[12]. La question se pose sans doute de manière singulière, la bisexualité étant un fantasme masculin qui s’impose aux femmes y compris hétérosexuelles et lesbiennes, tandis que la bisexualité au masculin peut au contraire renvoyer les hommes bi/pan+ vers l’homosexualité[13]. Comment s’élabore dans ce contexte une culture sexuelle bi/pan, selon quels répertoires sexuels, quels fantasmes ? Le collectif les BiSextiles, qui organise des rencontres sexuelles en non-mixité bi/pan, en est un exemple. Par ailleurs, les minorités sexuelles ne sont pas seulement des groupes spécifiques, elles ont aussi leurs cultures dont on peut repérer les codes, les figures, le rapport avec les cultures majoritaires : elles ne se définissent pas seulement par leurs désirs sexuels et leurs modes de vie, mais par une esthétique[14]. Peut-on parler d’une culture bi/pan ? Quelles en seraient les spécificités, les figures ?

La quatrième piste porte sur les politiques bi/pan : quelles politiques sexuelles et de genre ouvrent les identifications et les modes de vie bi/pan ? Une première manière de concevoir cette politique met l’accent sur les vulnérabilités des personnes bi/pan en matière de santé, de violences, de discriminations. Elles sont de grande ampleur, parfois au-delà de celles subies par les personnes homosexuelles ; elles relèvent de l’hétéronormativité, mais aussi du monosexisme[15], des stigmatisations ayant lieu au sein des communautés minoritaires[16]. Cependant la vulnérabilité n’est pas le seul angle par lequel construire des politiques sexuelles : celles-ci peuvent s’appuyer sur les modes de vie spécifiques qu’elles créent, sur ceux qu’elles refusent. Dans un contexte de renouveau des luttes féministes, comment s’articulent politique sexuelle des bi/pansexualités et politiques du genre ? Quels sont les enjeux actuels du militantisme bi, et quelles en sont les promesses ?

Modalités de soumission des propositions de communications :

Cette journée d’étude ne se limite pas aux recherches menées dans la sphère académique. Les propositions de communications, de 3000/4000 signes environ, peuvent être issues d’une enquête, d’une expérience militante ou d’une réflexion personnelle. Elles peuvent mobiliser une diversité de champs disciplinaires (étude de genre, étude culturelle, sociologie, démographie, anthropologie, histoire, philosophie, etc.) et de moyens d’expression (littéraires par exemple). Elles devront comporter un titre, et si c’est pertinent mentionner les matériaux mobilisés et/ou les corpus discutés, une courte bibliographie. Elles devront être accompagnées d’une courte présentation biographique avec le contact mail.

Les propositions sont attendues pour le 1er juin et doivent être envoyé à cette adresse: journeedetudebipan@gmail.com. Les réponses seront données courant juin.

Selon les besoins (absence de financement d’une institution académique, pays à revenus faibles ou intermédiaires…), la prise en charge du trajet et/ou de l’hébergement pourra être envisagée.

La journée aura lieu le samedi 27 septembre au Centre LGBT à Paris.

Comité d’organisation : Sam Hudson (Bi’Cause), Léna Meurillon (Ehess), Marie-Lou Reymondon (BiPan Paris), Mathieu Trachman (Ined)

Comité scientifique : Leïla Benabid (les BiSextiles), Gabriel-le Bernard (Bi’Cause), Lucile Duguet (Bi Pan Paris), Ariane Eolac (Bi Pan Paris), Ambre Kerboeuf (les BiSextiles), Tania Lejbowicz (IDUP, Ined), Florence Maillochon (CNRS), Vincent-Viktoria Strobel (Bi’Cause)

Références

1 –

  • Voir Trachman, Mathieu, Tania Lejbowicz, et L’équipe de L’enquête Virage. « Les personnes qui se disent bisexuelles en France », Population & Sociétés N° 561, 11, 2018,; Inserm – ANRS-MIE, Premiers résultats de l’enquête CSF-2023, 2024, en ligne : https://anrs.fr/wp-content/uploads/2024/11/rapp-csf-web.pdf;
  • Lejbowicz, Tania et Wilfried Rault. « Minorités sexuelles. Un élargissement des possibles sexuels », in Bergström, Marie. La sexualité qui vient. Jeunesse et relations intimes après #MeToo, Paris, La Découverte, 2025, chapitre 3.

2 – Voir Rault, Wilfried, et Mathieu Trachman (éd.), Minorités de genre et de sexualité. Objectivation, catégorisations et pratiques d’enquête. Ined Éditions, 2023, et en particulier le chapitre de Florence Maillochon, « La mesure des bisexualités à l’adolescence », en ligne : https://books.openedition.org/ined/19386.

3 –

  • Angelides, Steven. « Historicizing (Bi)Sexuality: A Rejoinder for Gay/Lesbian Studies, Feminism, and Queer Theory ». Journal of Homosexuality 52, 1‐2, 2006 ;
  • Callis, April Scarlette. « Bisexual, Pansexual, Queer: Non-Binary Identities and the Sexual Borderlands ». Sexualities, 17, no 1‐2, 2014.

4 – Collectif BiPan Paris, Association Bi’Cause et Collectif Les BiSextiles, « Manifeste – Journée internationale de la visibilité bi+ », 2024, en ligne : https://www.bipan.fr/manifeste et Journée de la Bisexualité – Manifeste.

5 – Liens vers les instagrams

6 –

  • Hutchins, Loraine, et Lani Kaahumanu (éd). Bi any other name: bisexual people speak out. Boston: Alyson Pub, 1991 ;
  • Däumer, Elisabeth D. « Queer Ethics; or, The Challenge of Bisexuality to Lesbian Ethics ». Hypatia 7, no 4, 1992 :;
  • Tucker, Naomi (éd.) Bisexual politics: theories, queries, and visions, New York: Haworth Press, 1995 ;
  • Garber, Marjorie B. Vice Versa: Bisexuality and the Eroticism of Everyday Life. New York: Simon & Schuster, 1995 ;
  • James, Christopher, « Denying complexity: The dismissal and appropriation of bisexuality in queer, lesbian, and gay theory », in : Beemyn, Genny, et Michele J. Eliason (éd.), Queer Studies: A Lesbian, Gay, Bisexual, & Transgender Anthology. New York: New York University Press, 1996 ;
  • Hall, Donald E., et Maria Pramaggiore. RePresenting Bisexualities: Subjects and Cultures of Fluid Desire. New York: NYU Press, 1996 ;
  • Davidson, Phoebe, Bi Academic Intervention. The Bisexual Imaginary: Representation, Identity and Desire. London: Cassell, 1997 ;
  • Yoshino, Kenji. « The Epistemic Contract of Bisexual Erasure ». Stanford Law Review 52, no 2, 2000 ; Angelides, Steven. A History of Bisexuality. Chicago: University of Chicago press, 2001 ;
  • Hemmings, Clare. Bisexual spaces: a geography of sexuality and gender. New York: Routledge, 2002.

7 –

8 –

  • Eisner, Shiri. Bi: Notes for a Bisexual Revolution. Berkeley, Calif: Seal Press, 2013 ;
  • Burgio, Giuseppe. Fuori binario: bisessualità maschile e identità virile. Milano: Mimesis, 2021 ;
  • Shearing, Lois. Bi the way: the bisexual guide to life. London: Jessica Kingsley Publishers, 2021 ;
  • Coll Blanco, Elisa. Resistencia Bisexual: Mapas para una Disidencia Habitable. Santa Cruz de Tenerife: Melusina, 2021 ;
  • Shaw, Julia. Bi: the hidden culture, history and science ofbisexuality. Edinburgh: Canongate, 2022. Ramadier, Mathilde. Vivre fluide: quand les femmes s’émancipent de l’hétérosexualité. Paris: Éditions du Faubourg, 2022. Castro, Aurelio, éd. Politiche della bisessualità: oltre la visibilità delle persone bisessuali, pansessuali e queer. Pisa: Edizioni ETS, 2023 ;
  • Mehta, Vaneet. Bisexual men exist: a handbook for bisexual, pansexual and m-spec men. London, U.K: Jessica Kingsley Publishers, 2023 ;
  • Albanese, Matteo. Lunatiche. La bisessualità non è una fase. Edizioni Fluide, 2023.

9 – Floralie Resa, «Manifeste pour un réveil Bi – personne ne le fera à notre place», 2022, en ligne: https://tomcatbipan.fr/manifeste-pour-un-reveil-bi/.

10 –

  • Mittleman, Joel. « Sexual Fluidity: Implications for Population Research ». Demography 60, no 4, 2023 ;
  • Trachman, Mathieu. « Questionner son genre. Masculinités, féminités, non binarité », in Bergström, Marie (dir.). La sexualité qui vient. Jeunesse et relations intimes après #MeToo, Paris, La Découverte, 2025, chapitre 2.

11-

  • Armstrong, Elizabeth, “Traitors to the cause? Understanding the lesbian/gay “bisexuality debate”, in Bisexual politics. Routledge, 2014 ;
  • Deschamps, Catherine, Le Miroir bisexuel, op.cit. ; Hemmings, Clare. Bisexual spaces, op.cit.

12 Rubin, Gayle S. Surveiller et jouir: anthropologie politique du sexe. Paris: EPEL, 2010.

13 Eisner, Shiri. « Hot sexy bi babes : media depictions of bisexual women », Bi Radical, 2012, en ligne : https://radicalbi.wordpress.com/2012/04/25/hot-sexy-bi-babes-media-depictions-of-bisexual-women/

14 Halperin, David M., L’art d’être gai. Paris: Epel, 2015.

15 –

  • Yoshino, Kenji. «The Epistemic Contract of Bisexual Erasure» op.cit. ;
  • Bollas, Angelos. «Hegemonic Monosexuality ». Journal of Bisexuality 23, no 4, 2023.

16 –